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Prophets of Rage – « Vous allez finir par vous aimer les uns les autres bordel de merde ! »

2016 marquera à jamais les esprits. Une année accablante où quantité de grands noms de la musique et du cinéma nous ont quittés. Ajoutez à cela les attentats, les révoltes, les conflits armés et j’en passe. On retiendra surtout l’événement phare de cette année : l’élection de Donald J. Trump à la tête de la Maison Blanche. C’est précisément à cet instant que l’on a touché le fond.

Mettre un type de son espèce au pouvoir ne présage jamais rien de bon, en témoigne ce qui s’est passé à Charlottesville. Ces heurts ont ouvert de vieilles cicatrices qu’avait tenté de fermer tant bien que mal Barak Obama lors de ses deux mandats. Hélas, l’histoire aura eu raison de l’efficacité du gouvernement du président sortant des États-Unis d’agir contre le racisme. La naissance du mouvement Black Lives Matter n’est pas un hasard. La nation libre semble plus que jamais en perdition. Divisée, meurtrie, elle boue telle une marmite qui, on l’espère, n’explosera pas. Devant cet imbroglio socio-politique, les gars de chez Prophets of Rage ont décidé d’en parler en musique avec la sortie le 15 septembre dernier de leur premier album éponyme, Prophets of Rage.

Prophets of Rage : Un super groupe composé de super héros

Prophets of Rage, c’est un melting pot assez incroyable qui se distingue de par son line-up légendaire, Chuck-D, co-fondateur de Public Enemy, DJ Lord qui accompagnait à l’époque la troupe de rappeurs. B-Real, leader de Cypress Hill suivi de Tom Morello, Tim Commerford et Brad Wilk œuvrant auparavant aux côtés de Zach de la Rocha lorsque Rage Against the Machine était encore actif. Boom ! La messe est dite. Prophets of Rage apparaît comme un poids lourd sur le papier, un side project dantesque que l’on espère voir perdurer. C’est en tout cas la volonté de tout ce beau monde ravi d’avoir accouché de ce premier bébé qui, il faut le dire, a globalement convaincu tout le monde, nous les premiers.

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Prophets of Rage avec de gauche à droite : DJ Lord, Tim Commerford, Chuck-D, Tom Morello, B-Real et Brad Wilk

Certes, leurs compositions ne révolutionnent pas l’industrie du disque mais ce n’est pas l’objectif de nos joyeux lurons qui préfèrent se faire plaisir sur scène tout en apportant un message fort dans la gueule de monsieur Trump et de toutes les personnes intolérantes et rétrogrades. Cela se ressent bien évidemment dans les paroles de leurs titres mais également dans l’énergie qu’ils transmettent sur scène. Les mots sont crus, le phrasé est sec, la colère ou plutôt la rage est palpable.

Prophets of Rage ressemble un peu à Christ… Jésus-Christ, interprété par Didier Bourdon dans un sketch des inconnus qui n’hésite à distribuer des torgnoles aux soldats romains afin de véhiculer son message empreint de paix et de tolérance. Dans un style tout aussi paradoxal, Prophets of Rage s’inspire peu ou prou du personnage : on hurle la paix et la solidarité, on fracasse le repli sur soi et on écrase la haine et la violence. C’est en tout cas ce qui ressort des mots de Tom Morello juste avant de jouer sur scène. Lors de leur premier concert le 31 mai 2016 dans la boîte de nuit Whisky a Go go à Los Angeles, celui-ci déclarait : « Il est temps de rendre sa rage à l’Amérique »

Prophets of Rage : La rage au ventre

Nous aurions tendance à croire que le groupe est plus un mouvement politique qu’une formation musicale. Eh bien, c’est un peu les deux à la fois, à l’image du titre Hail to the Chief, un véritable tract anti-Trump. Bon, parlons musique. Prophets of Rage (l’album) est de bonne facture. Tout le monde se demandait si Prophets of Rage (le groupe) allait refaire du Rage Against the Machine et à vrai dire, il est difficile de se prononcer sur la question tant les connivences entre les deux groupes sont évidentes. Morello y est certainement pour beaucoup. Ceci dit, l’absence de Zack de la Rocha (chanteur de Rage Against the Machine) au profit de B-Real et Chuck-D aux chants façonne l’identité du super groupe : un mélange Rock/Hip-Hop bien visible et distinct définissant les lignes artistiques du groupe, quoi que…

Prophets of Rage avait sorti l’année dernière un EP, The Party’s Over, nous permettant au préalable de prendre la température. Tiède, c’est ce qu’affichait le thermomètre après une série de concerts en 2016 n’offrant que trop peu de compositions du groupe. Nous avions tout de même eu l’occasion de savourer des superbes reprises de Killing in the Name, Shut Em Down jouissant au passage d’une intro à la guitare délirante signée Morello ainsi qu’une reprise rafraîchissante de No Sleep til Brooklyn des Beastie Boys, devenue No Sleep Til Cleveland, faisant écho à la conférence du parti Républicain dans l’Ohio qui désigna son candidat pour les présidentielles. La réappropriation du single donne à No Sleep til Cleveland un côté organique tout à fait exaltant. Le jeu de batterie de Wilk côtoyant le solo de guitare de Morello fait vraiment le café !

Review de l’album Prophets of Rage

Prophets of Rage s’ouvre avec le titre Radical Eyes qui se veut simple et efficace bien que pas mal sombre il faut dire. Chuck-D a du coffre et le fait savoir. Avec B-Real, ils dépeignent une sorte de dystopie à la sauce Orwellienne dans laquelle chacun est surveillé, traqué : « That you wanna blame me for what I read. When I’m home down away from ducking your drones […] ». En déconnexion avec le monde qui les entoure, les deux rappeurs se retrouvent aussitôt catalogués d’extrémistes, de radicaux. Des outsiders de la société à surveiller de près : « They said, “Fuck my crisis. » Didn’t hear my cries. They said, “Fuck my crisis. They say I’m radicalized […] ». Sans être transcendant, le titre annonce la couleur. Il anticipe un futur inquiétant dans lequel les alternatives ne seront pas légion.

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Pochette de l’album Prophets of Rage, sorti le 15 septembre 2017

La seconde piste, Unfuck the World, est à la fois cool et virulente. Pour la réalisation du clip, le super groupe s’est attaché les services de Michael Moore, grand réalisateur de documentaires, connu pour dégommer régulièrement du politique crapuleux à l’instar de Fahrenheit 9/11. Force est de constater que sa patte se fait clairement ressentir dans le clip. Chaque plan passe au crible les échecs essuyés par le gouvernement américain. L’élection de Trump au pouvoir ne marque plus seulement un tournant sur le plan politique : elle réveille également les consciences. En témoigne le message de fin qui incite tout un chacun à changer les choses. La formule « Unfuck the World » (dé-baiser le monde) prête au sourire. Toutefois, elle regorge d’espoir en sortant du registre habituel « bouger votre derrière bande d’ignares ». Plutôt que de culpabiliser le petit en lui dressant le portrait d’un monde à l’agonie qui périra dans les flammes de l’Enfer, Unfuck the World retrousse ses manches avec véhémence pour sortir de ce chaos ambiant.

La piste suivante, Legalize Me, aborde la question de la dépénalisation de l’herbe. Forcément, on retrouve plus au premier plan B-Real que Chuck-D. Musicalement, Legalize Me perd en intensité par rapport aux autres morceaux. B-Real n’a clairement pas la même poigne que Chuck-D mais il permet d’équilibrer les forces de par sa voix un peu nasillarde. On appréciera de surcroît l’intro à la sauce hispanique qui sort un peu de la feuille de route habituelle du groupe.

Living On the 110 fait partie de la quintessence de Prophets of Rage et dessine l’identité musicale du super groupe : un très bon rythme grâce à une association équilibrée entre la partie instrumentale et le duo B-Real/Chuck-D. L’expérience de chacun apporte véritablement tout le sel au projet Prophets of Rage. Living On the 110 livre un constat critique et amer des manœuvres politiques opérées au cours de ces dernières années : « Living on the 110. There’s no end to the poverty, stopping me. You pretend there’s democracy, hypocrisy. This is the reality ».

L’album prend un peu plus d’altitude avec Counteroffensive, sorte d’interlude au LP dans lequel s’illustre ENFIN DJ lord qui jusqu’à présent était clairement inscrit aux abonnés absents. Un véritable manquement de la part du groupe sur lequel on reviendra un peu plus tard. Toujours est-il que Counteroffensive est bien trop court pour être pleinement apprécié. Sans le vouloir, il pointe une des faiblesses du groupe. Dommage…

Le puissant Hail to the Chief reste l’un des meilleurs morceaux de l’opus, voire le meilleur. Les percussions de Wilk sont d’une efficacité redoutable. Muni de sa stratocaster, Morello abreuve le titre de ses meilleurs riffs de guitare qui ne sont pas sans rappeler ceux que l’on écoutait religieusement il y a quelques années avec Rage Against the Machine. On remarquera qui plus est une richesse artistique remarquable dans Hail to the Chief lorsqu’ arrive sur la table un duel dévastateur opposant la gratte de Morello aux scratchs virevoltants de DJ Lord. Chuck-D, lui, se contente de psalmodier tout le dégoût qu’il peut ressentir envers le racisme et l’ignorance non sans fermeté et conviction. Décapant.  Le clip est clairement un bras d’honneur à l’administration Trump : « All hail to the chief. Who came in the name of a thief. To cease peace ».

Take Me Higher est un clin d’œil aux morceaux Radical Eyes et Legalize Me. L’intro fait renaître de ses cendres un Che Guevara révolté, poing levé au ciel. Après s’être penché sur plusieurs thématiques, nos prophètes zélés s’attaquent à nouveau à l’émergence des drones qu’ils n’ont franchement pas l’air de porter dans leur cœur : « Drones. They got you tapped, they got your phone. Look out. Drones. They got ya trapped, they spot your home, ‘Cause you’re a target ». La basse décontractée de Commerford se fait un peu plus ressentir que sur le début du set. Comme à leurs habitudes, la paire vocale fait le boulot, tout comme Wilk et Morello, tous deux très inspirés dans leur zone de jeu respective.

Urgent, c’est encore ce qui définit le mieux Strength in Numbers. Plus on progresse dans ce dernier, plus on se sent comme prisonnier d’un enfer oppressant : « Working 9 to 5 all your life. Feeling like you’re left behind Everyday’s a struggle. […]Strength in numbers! Unify or it’s do or die ». Si vous n’aviez pas encore compris que le monde ne va pas fort bien, c’est que vous êtes dur de la feuille ou bien un peu lent à la détente, avec tout le respect que l’on vous doit.

Difficile de dire avec certitude si la chanson Fired a Shot renvoie aux tueries en série perpétrées par des policiers blancs envers la communauté afro-américaine (les meurtres de Michael Brown ou Eric Gardner pour ne citer qu’eux,) ou bien aux quotidiens parfois morbides que traversent la plupart du temps les minorités logeant dans des quartiers difficiles et violents : « Look who fired the shot I just fired the shot. We fired the shot ». Ou encore s’agit-il d’une critique implicite à l’encontre du deuxième amendement américain sinon de la NRA (National Rifle Association), gigantesque lobby pro armes à feu aux États-Unis. Sans être original, Fired a Shot est honnête mas reste moins percutant que Who Owns Who. Ce dernier remet des sous dans la machine « Viva la Revolucion » ! Mais à l’image des plaisants Hands Up et Smashit, les deux dernières pistes de l’album, on n’a pas grand-chose de neuf à se mettre sous la dent. Oui, les titres sont bons. Oui, il y a une cohérence et une profondeur dans le songwritting. Oui, l’alchimie opère entre les différents membres du groupe. Oui, Prophets of Rage est un album réussi dans son ensemble. Oui, mais…

Prophets of Rage : des militants attachants mais relou ?

Non. Prophets of Rage est un projet, un beau projet par ailleurs et non un petit groupe lambda se servant d’une cause uniquement pour gagner en notoriété. Que ce soit Chuck-D, la triplette Morello/Wilk/ Commerford, B-Real ou bien DJ Lord, ils n’ont plus rien à prouver à qui que ce soit. Ils se sentent plus investis d’une mission qu’autre chose. Mission qu’ils remplissent en musique et ce, sans fausse note. Il n’y a pas réellement de ratés dans cet opus. Aucune piste ne pue la médiocrité. Chacune se laisse apprécier. Il n’empêche que quelque chose coince encore…

Prophets of Rage : une pâle copie de Rage Against the Machine ?

Non plus. Cela dit, on commence à chauffer. Quelque part, Prophets of Rage, c’est un peu le petit frère introverti de Rage Against the Machine qui tente de faire pareil que l’aîné. Pourtant, il y avait mieux à faire pour se démarquer, à commencer par le fait d’inviter DJ Lord aux séances d’enregistrements. Jusqu’à preuve du contraire, il fait partie du line-up, non ? Mis à part quelques morceaux, DJ Lord n’apporte strictement rien à l’opus. C’est d’autant plus frustrant quand on sait que Chuck-D et B-Real, des grosses cylindrées dans le milieu du Hip-Hop, sont parvenus à prendre leurs marques. Mieux, les deux rappeurs ont su apporter au songwritting notamment grâce à leur timbre de voix et leur style respectif. Encore une fois, il pouvait se passer quelque chose de dingue !

Prenons par exemple le mythique Walk This Way du groupe Aerosmith en featuring avec Run DMC. Ici, la fusion Rock/Rap marche du feu de Dieu. Le riff de guitare de Joe Perry se mariant aux scratchs impeccables ainsi qu’aux flows frénétiques de Run DMC font de Walk This Way un single parfait, intemporel, apprécié aussi bien des rockeurs que des rappeurs. Bref, il y a dans Walk This Way tout ce qu’on aime en tant que mélomanes. Pourquoi Walk This Way fonctionne-t-il ? Probablement parce que les mecs sont sortis de leur zone de confort habituelle tout en conservant leur identité. Un exercice d’équilibriste compliqué mais pas impossible. Et puis quand c’est bien fait, on prend un pied monumental.

Oui, Prophets of Rage aurait pu, dû marquer davantage son territoire. Malheureusement, on est plus face à un revival inconstant de RATM qu’un super groupe qui puise dans le meilleur de trois groupes remarquables : Public Enemy, Cypress Hill et Rage Against the Machine. Le plus rageant, c’est qu’ils avaient tous les ingrédients en main pour concocter aux petits oignons Prophets of Rage : des musiciens hors pair, des rappeurs plus que doués et un DJ relativement en place. Oui, mais Morello et sa troupe en ont décidé autrement.

Attention toutefois à ne pas se tromper de chemin, Prophets of Rage est à ranger parmi les bons albums. Certes, celui-ci manque de relief, d’envergure pour frapper à la porte de la perfection ou du moins de l’excellence. Néanmoins, l’album s’écoute avec beaucoup de plaisir. On sent autour de ce premier jet une vista naturelle, une certaine malice dans la composition. Les titres s’enchaînent avec fluidité. Même leur facette militante n’agace à aucun moment. Pourtant, on en bouffe à tous les niveaux !

En allant plus loin, on pourrait même aller jusqu’à taxer Prophets of Rage d’album concept, une grande mode dans les années 70 consistant à réunir l’intégralité des titres d’un album autour d’un thème, d’une histoire, d’un monde. Dark Side of the Moon, Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band, Ziggy Stardust and the Spiders from Mars, Melody Nelson… autant de grands albums concept que l’on vous recommande chaudement d’écouter. Dans un sens, Prophets of Rage raconte une histoire, aussi morose soit-elle hélas et ça, ben c’est beau.

On appréciera également la manière avec laquelle ils causent, celle-ci étant beaucoup plus pacifique qu’il n’y paraît. L’auditeur sera plus curieux de comprendre tout le merdier qui règne aux États-Unis et non agressé par des injonctions à changer drastiquement sa façon d’être, de penser, de manger, etc. Qu’à cela ne tienne, il est à saluer les efforts consentis par le super groupe sur ce premier album, aussi bien sur le plan musical que sur le plan artistique.

Marcus Bielak

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