
Habituellement, ce n’est pas durant l’été que les meilleurs sorties Rock se font. L’exception confirmant la règle, 2019 aura été une année particulière : RIDE, Russian Circles, Pixies, Jason Lytle, Apparat, Tycho, Little Hurricane ou encore Tool et j’en passe. Il y aura eu du très bon, du bon, de l’inclassable et du surprenant comme cet album O.V.N.I de Jason Lytle ou le très jazzy Free d’Iggy Pop.
RIDE
This Is Not a Safe Place de RIDE est sorti le 16 août, week-end traditionnellement chargé sur les routes. Cela m’a permis de poser longuement mes deux oreilles sur les douze pistes confirmant le retour du groupe formé en 1988 par Mark Gardener et Andy Bell après un Weather Diaries en demi-teinte, il y a deux ans de cela. Depuis quelques années, le Shoegazing revient en force sur le devant de la scène, nous en avions déjà parlé dans nos pages, je ne reviendrai donc pas dessus ici. Si le morceau Kill Switch reste le haut flamboyant de l’iceberg, les autres pistes méritent largement l’écoute par leur richesse. Attention cependant, le RIDE d’aujourd’hui n’est pas celui d’hier (entendre celui des années 90 et de son Nowhere). Si l’on reste sur une base commune – on ne renie jamais vraiment ses origines – nous sommes ici devant deux artistes qui ont évolué, se sont séparés puis qui ont finalement décidé de reprendre les choses, non pas là où elles en étaient à leur séparation, mais enrichies de leurs expériences individuelles, se libérant ainsi de ce que leur public peut attendre d’eux. Nous assistons donc ici à une liberté totale de jouer sur les codes, de donner une nouvelle dimension à leur héritage. En tout cela, cet album se démarque de son prédécesseur, encore entre deux eaux, entre la volonté de changement et le tâtonnement. Avec This Is Not A Safe Place, si la place qu’ils se sont trouvée dans ce monde n’est pas sûre, elle a le grand mérite d’être assumée pleinement et d’ouvrir le champ des possibles.
TOOL
Grosse surprise de cette fin d’été et tournant en boucle sur nombre de platines, Fear Inoculum du groupe californien TOOL a fait sensation. Ne pas se faire engloutir par ses peurs pour, au contraire, les utiliser à son avantage pour se construire : tel est le thème de cet album très mature. Il aura fallu treize ans au groupe pour revenir avec un cinquième album dont les chansons vous engloutissent littéralement. Empli de contradictions, cet album ne laisse personne indifférent. Ici, la voix de Keenan est encore plus polyvalente et émotive que jamais et la musique, tout en nuance. La pureté dépouillée du son fait, ici, que tout repose sur les chansons elles-mêmes. Au beau milieu de tout cela, un peu comme l’on prendrait quelques tranches de gingembre mariné entre deux bouchées de sushi pour se purifier le palais, nous avons droit à un long solo de batterie (prés de cinq minutes tout de même). Quand bien même Fear Inoculum manque cruellement de pics et peut donc paraître parfois un peu épuisant (certains morceaux s’éternisant un peu…), il est rare qu’un disque de Metal me touche l’âme et le cœur par sa consistance, il avait donc tout naturellement sa place dans nos colonnes.
The Pixies
Les Pixies, de leur côté, nous font attaquer cette rentrée avec une pêche d’enfer. On se souvient de leur retour timide, entre tournée des anciens titres et sortie d’un nouvel album. 2019 voit les Pixies au mieux de leur forme et l’intérêt renaître pour ce Beneath the Eyrie. Le savoir-faire des Pixies est indéniable : marier le Punk à une attitude cool, une musique simple mais bruyante. Quoi de mieux que de raconter des fables parfois macabres, parfois mystiques (mais nous sommes un peu habitués au monde onirique de Franck Black), que de mélanger grunge et folk ou Surf Rock et Tex-Mex. Ce disque installe Les Pixies dans une ferme intention d’être, tout simplement. Le groupe semble à nouveau très à l’aise dans cette cohérence retrouvée. Un disque sombre pour se préparer à l’arrivée de l’automne.
Russian Circles
Blood Year, c’est le dernier album en date de Russian Circles et reçu comme le meilleur à ce jour. Autant dire que sur sept albums, ce n’est pas peu dire. Certes, Russian Circles brille dans l’obscurité. Dans ces atmosphères écrasantes, il semble en effet y avoir plus qu’il n’y paraît. Et là, nous cherchons la surprise qui ne viendra pas ou peu. Après la surprise d’une introduction courte et très post-rock, le groupe revient à un son plus métal et une section rythmique plus dense mais peu diversifiée, des riffs finalement moins explosifs. Oui, Russian Circles se paie une descente dans le Black Metal. C’est plus lourd, plus dense, et pourtant l’impression qu’ils se sont arrêtés à mi-chemin de l’éclat obscur est bien là. Russian Circles aurait pu aller plus loin : quitte à descendre, autant y aller franchement plutôt que de se contenter d’une hybridation qui y perd de sa saveur. J’ai pris plaisir à écouter l’album, mais j’ai en même temps un goût d’inachevé.
Jason Lytle
Si vous ne connaissez pas Jason Lytle, c’est sans doute que vous n’êtes pas un enfant de Lenoir (Bernard, si tu nous entends…), et si ce n’est absolument pas grave, vous avez là la possibilité de vous rattraper. Jason Lytle était le chanteur et compositeur de Grandaddy (1993-2005) mais le groupe, éreinté par les tournées interminables, avait fini par se disloquer. Reste que Lytle n’en a pas terminé avec la musique et compose deux albums assez remarquables par leur richesse et bien-entendu sa voix, toujours à la proue du navire. NYLONANDJUNO est donc le troisième album de Jason Lytle et certainement le plus surprenant de toute sa carrière, solo ou non, alors même qu’on le croyait définitivement versé dans un folk-rock. On se rappelle également sa très belle participation au projet de The Color Bars Experience sur des covers du Figure 8 d’Elliott Smith au côté de Troy Von Balthazar (Chokebore) et de Ken Stringfellow (R.E.M, Big Star,The Posies…). En lieu et place d’un digne successeur à son dernier album solo en date, nous avons ici droit à un album issu d’une collaboration avec le collectif Arthur King, exclusivement instrumental mais loin d’être dénué d’intérêt. Derrière ce titre aux apparences barbares se cachent deux instruments : une guitare sèche aux cordes en nylon et un vieux synthétiseur Juno, d’où Nylon and Juno. Il s’agit en réalité d’une mise en son de plusieurs installations artistiques du collectif d’arts visuels et de musique expérimentale. C’est très lent, très cinématographique, avec un son un peu 80’s parfois comme sur Dry Gulched on Rodeo Drive. Ce disque est une étoile filante, nous l’oublierons vite, sauf que si vous retombez dessus, plus tard, vous serez happés par ces mélodies aériennes que l’on dirait presque sorties tout droit d’un David Lynch.
Greg Pinaud-Plazanet