Voilà, dimanche, l’attente et le suspens sontt terminés… ce que les médias ont appelé le suicide numérique, organisé par Radiohead, est terminé. Alors que deux morceaux avaient été distribués par le groupe sur le web, il nous restait à découvrir dans quelle direction la bande à Thom York allait nous embarquer, cette fois. Burn The Witch et Daydreaming sont d’ailleurs assez différents pour souffler en nous le chaud et le froid, nous laisser dans l’expectative jusqu’au bout.
Une onde à la surface
Après The King of Limbs (sorti en 2011), on ne savait pas vers quoi tendrait le groupe. S’il irait vers plus d’électronique ou si, bien au contraire, celui-ci réinvestirait leur côté plus organique avec beaucoup de cordes notamment, ainsi qu’un recentrage autour du combo rock formé par guitare, basse et batterie. Avant toute chose, je dois dire que l’album est calme. Calme comme la surface d’une piscine que seul un léger vent viendrait brouiller, de temps en temps. La place est belle pour les instrumentaux, la voix étant beaucoup moins mise en valeur que lors d’albums précédents. Pour autant, elle est un des piliers fondamentaux de l’orchestration. Elle est devenue un outil, un instrument à part entière, sa présence renforçant chaque petite trouvaille que l’on pourra faire lors de l’écoute de cet album qui, rythmiquement parlant, est plus direct et donc moins complexe que ses aînés.
On reste dans l’expérimentation
Avez-vous remarqué que les titres se suivaient de façon alphabétique ? En général, cela peut être interprété comme l’un des signes qu’il pourrait s’agir d’un album concept, voire expérimental. Oui mais Radiohead aime semer ce genre de petits cailloux blancs, et nombreux sont ceux qui vont passer les prochaines semaines à essayer d’en trouver le sens. Non, si je parle de concept et d’expérimentation ici, c’est que je vous faisais remarquer, plus haut, le retour prédominant des cordes.
Si l’on entend effectivement plus les guitares, on entend également de nouvelles choses comme des nappes de violons et autres instruments à cordes. C’est le London Contemporary Orchestra qui assure ces parties pour le moins hautes en couleurs, froides souvent sur cet album, mais qui lui donnent énormément de relief. Le London Contemporary Orchestra dont le but affiché est d’explorer et de promouvoir les nouvelles tendances musicales afin de toucher une audience toujours plus grande (dixit eux-mêmes), a travaillé avec des gens comme Jimmy Page, Foals et… Jonny Greenwood, multi instrumentiste de génie et surtout, second membre majeur de Radiohead, de l’avis de beaucoup. Et si l’on connait le coté expérimental de ce dernier (voir Junun, sorti en 2015), il est assez facile de reconnaître son influence sur ce disque. En effet, si King of Limbs était fortement marqué par l’aventure solo de Thom Yorke, A Moon Shaped Pool porte plus la patte de Jonny Greenwood et de son attrait pour les grands ensembles à cordes. Ceux-ci ayant déjà été croisés à l’occasion de la composition des bandes originales de The Master (2012) ou encore de There Will Be Blood (2007). Ou tout au moins peut-on logiquement supposer cette influence. Si cela reste une théorie, cela voudrait tout de même dire que chaque membre, au sein de Radiohead, peut avoir de l’influence sur la composition, ce qui assurerait un renouveau assez régulier de leur oeuvre globale à partir d’un socle commun.
Une réinvention constante
Même si l’on se raccroche à des sons connus, comme la voix de Thom Yorke par exemple, ou l’absence de la structure couplet-refrain si chère au rock et à la pop, Radiohead montre qu’il se réinvente constamment. Ici, le groupe revient certes vers plus de lyrisme, mais différemment de leurs premiers succès. A l’heure où nombre de groupes font tout pour remplir des stades, Radiohead nous livre un disque intimiste et minimaliste, tout en affichant une certaine richesse, où chaque couche instrumentale semble jouer une chanson différente au sein du même morceau. Et si l’influence de Jonny Greenwood semble évidente, celle de Thom Yorke n’en est pas moins absente avec l’apparition de claviers distordus ou d’éléments moins organiques tout au long du disque.
Symbole de la réinvention perpétuelle du groupe et signe que ce disque réintègre des mélodies bien identifiées : True Love Waits. Cette dernière piste va cristalliser l’attention dans les prochains jours. Ce morceau date de 1995 mais il ne fut sorti qu’en 2001, en acoustique sur le live I Might Be Wrong: Live Recordings par Thom Yorke. Il est devenu une des chansons les plus prisées par les fans. Ici le piano remplace la guitare et magnifie la mélodie sur laquelle la sublime voix de Yorke s’appuie en chantant son désir de ne pas être seul… Il est là aussi facile de voir comment un vieux morceau du groupe peut être retravaillé et prendre parfaitement sa place dans ce nouvel album. Mais la réinvention ne s’arrête pas là en réalité… Plusieurs morceaux de ce dernier album ont été, à un moment ou à un autre, entendus joués différemment lors de lives. C’est le cas d’Identikit et Full Stop en 2012 ou encore Présent Tense en 2008, mais ce ne sont pas les seules, et si vous êtes curieux, cherchez donc le live de Silent Spring… vous constaterez qu’elle ressemble beaucoup à Numbers… Autre fait amusant: Burn The Witch a été teasé sur le web par Thom Yorke lui-même depuis 2006…
Des propos pessimistes mais…
Si les textes de Thom Yorke semblent toujours aussi pessimistes, signe des temps actuels, ils n’en sont pas moins dénués d’un certain espoir. Vain ? Peut-être. En effet, si l’album semble cristalliser certaines peurs et inquiétudes face à notre futur (guerres, Donald Trump, dérives du comportement humain en général comme le sadisme…), il n’en aborde pas moins le sujet de l’acceptation et du pardon. Le mot final de l’album serait même: « The futur’s inside us ». Et c’est là toute l’ambiguïté du propos. Porte-t-on la graine du mal ou celle de la lumière ? La réponse n’est pas dans le disque et invite chacun à se poser la question et à agir en conséquence. Advienne que pourra, peu importe, ce ne sera pas pire qu’aujourd’hui, de toute façon, le monde est en marche. Cette phrase semble donc être une ultime tentative pour nous réveiller, en même temps qu’ une ultime tentative pour Thom Yorke de croire que cela est encore possible malgré son fatalisme.
Greg Pinaud-Plazanet