Si nous optons pour la clairvoyance sociétale, il faut admettre que le monde ne va pas super bien et dans la musique, le post-punk est l’un des genres qui a fait le plus écho à ce malaise.
Mais c’est quoi le post-punk ?
Pour ceux qui ne sont pas familiers de cette mouvance, elle a débuté à la fin des années 70 en Angleterre. On parle de post-punk car c’est une évolution de la mouvance punk (dans laquelle The Clash s’était, entre autres, distingué) qui était un peu je-m’en-foutiste du système, mais qui dès lors est devenue plus sombre, expérimentale. A l’époque, le gouvernement ultra conservateur de Margaret Thatcher écrase la culture en supprimant les subventions, et en conséquence, empêche tout art dissident, alternatif de s’épanouir. C’est à cette époque que Joy Division a fugacement tapé du poing sur la table stoppés en plein élan par le suicide de Ian Curtis, leur leader. Ce groupe évoque parfaitement le mal-être des gens de l’époque. Ensuite, apparaitra la new wave (The Cure, …) et tout les autres styles underground dont cette scène a accouché. Elle ne disparaitra toutefois pas totalement, car encore aujourd’hui, des laissés pour compte s’en inspirent et font valoir leur désarroi à travers cet état d’esprit.
Bye UK, hello USA
Les gars de Protomartyr font partie de ces groupes actuels qui baignent dans le post-punk. La petite différence est qu’ils viennent de Détroit, cette cité désolée par les ravages de la crise économique depuis les années 50 jusqu’à son paroxysme en 2008. Alors qu’elle était l’épicentre de la production automobile des Etats-Unis, la vie l’a progressivement déserté, et les politiques l’ont regardé s’éteindre. Mais la culture de Détroit est forte, il faut toujours se méfier de l’eau qui dort. Elle hurle sa rébellion, sans cesse, et ce à travers toutes les mouvances depuis le milieu du 20ème siècle. (Techno, funk, punk,rap).
A travers « The Agent Intellect », ces cinq enragés ont sorti, en octobre 2015, un album qui nous fait goûter à la noirceur de leur esprit. Entre regret et colère, le groupe ne lésine pas sur les émotions et envoie au diable toutes les effusions lisses et écœurantes de fausse joie. Ici, tout est brut. Nous prendraient-ils avec des pincettes ? Etabliraient-ils une trame claire dans les titres ? Jamais. Avec une voix continuellement morne accompagnée d’une rythmique tantôt légère, tantôt martelée inlassablement, Protomartyr ne nous épargne pas. Nous sommes ici à mi-chemin entre Joy Division et Interpol, mais à une intersection où la désolation a férocement œuvré. D’ailleurs, je trouve cet album un peu indigeste à certains moments, surtout si vous n’êtes pas d’une humeur sombre, car la voix de Joe Casey peut être réellement lourde. C’est, je pense, l’un des points négatifs de ce groupe. Mais comme beaucoup de chanteurs improvisés, il n’avait pas nécessairement de bagage vocal à la base. C’est donc à relativiser sur la globalité de la formation.
Une noirceur palpable
Songer à la catharsis, qui en d’autres mots illustre la purgation émotionnelle, est non-négligeable. D’autant plus, à l’écoute de Ellen, hommage à la mère du chanteur où Joe Casey adopte le point de vue de son père. Pourquoi en est-il venu à se mettre dans les sabots de celui-ci ? Probablement pour le fait qu’il soit décédé trois jours après la disparition de sa mère, due à la maladie d’Alzheimer. Il est déchirant de voir l’amour de sa vie cesser d’exister, car bien que physiquement vivante, cette maladie efface tout, y compris la personnalité, l’essence d’une personne, d’après l’expérience de Joe. Là est la trame évocatrice de cet album, une ode insidieuse à la fragilité de l’esprit. D’ailleurs, le choix du nom, The Agent Intellect, leur vient d’une théorie controversée d’Aristote qui aborde le sujet de l’esprit, sa manière de fonctionner et comment il peut être bouleversé par le moindre facteur externe (événement, traumatisme, de manière négative ou positive) ou interne (la maladie, entre autres exemples).
Patience récompensée
Je me suis toujours demandée, personnellement, ce qui me plaisait dans ce style de musique… Un auditeur lambda, que je comprends dans une certaine mesure, a émis le fait que c’est trop linéaire, répétitif, et que la voix n’a aucune nuance. Je lui ai répondu que c’était un soucis d’attention, de patience. La rythmique est entêtante, l’ensemble prend aux tripes, mais une atmosphère se créée. Nous nous immergeons dans un monde sans chichi. Nous pouvons nous représenter ça comme l’émotion humaine à l’état brut, comme une musique à personnaliser, mais surtout comme une histoire. C’est un univers à creuser, pour lequel il faut éduquer son oreille ; un état d’esprit, et là est toute la problématique. Nous n’écoutons pas ça n’importe quand, à l’arrache ou quoi. Nous l’écoutons pour le comprendre.
Sandra Farrands
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