Dans la vie, il y a plusieurs plaisirs. On peut aimer dessiner, prendre son crayon, son feutre et griffonner. On peut adorer les concerts, les interpréter avec de belles partitions, de magnifiques instruments et avoir un rendu qui claque. Mais avouons-le, les deux plaisirs sont difficilement conciliables. Et pourtant, jeudi soir, à l’I.Boat, à Bordeaux, le groupe Moonshine Fish et le dessinateur Elliot nous ont montré que c’était possible.
D’abord, il y a la scène, simple. Une batterie, deux guitares, une basse et un violoncelle. Mais là, les instruments sont tous rejetés sur la droite ou la gauche. Car l’élément le plus visuel est au centre : des dessins, réalisés sur place, en direct, presque en réaction à la musique du groupe. On s’autorise des choses : les coups de pinceaux fusent, l’encre part sur les feuilles. Tout cela est filmé et rétroprojeté sur l’écran. Ceci est donc un concert dessiné.
C’était la première fois qu’un tel spectacle était donné. Comme chaque première, il y a des imperfections qui devront être corrigées. Le guitariste et leader du groupe, Quentin Dagobert, l’avoue à la fin du concert, après un laconique « Voilà, c’est fini ». Néanmoins, durant près de trois quarts d’heure, on assiste à un set magnifique.
Entre Nick Drake et Neil Young
Le groupe Moonshine Fish se catalogue folk. Ils ont raison et tort. Nous avons assisté à bien plus qu’un concert de folk traditionnel : on était brinquebalés entre accents country, remarquables poussés de Neil Young version « Hey Hey My My », ou encore un univers un peu lugubre sinon sombre. Etonnant et savant mélange que ce groupe qui mixe ces influences diverses dans un son assez novateur et frais. Un des morceau de ce concert est le plus réussi : La Tempête. C’est simple : c’est la chanson la plus rock du spectacle, et celle qui nous met le plus en guerre avec nos nerfs. Les guitares sont oppressantes et s’avancent vers nous comme une grande vague… qui retombent lorsque finalement… « Le calme revient ». Mention également à London Draggin’, un des très bons morceaux, mélangeant country et folk, et dont la rythmique nous ferait presque danser, après avoir grillé une cigarette (ou un pétard, c’est selon).
Des dessins, encore des dessins
Et, puis il y a les dessins. On sait comment il est compliqué de définir la musique avec des mots, autrement dit d’écrire sur des sons. En regardant Eliott dessiner, on se dit qu’il est finalement plus facile de griffonner que de parler ou d’écrire, ce qui peut quand même nous mettre mal à l’aise quant à la survie de ce blog. Plus facile, cela reste encore à prouver, car pour arriver à ce niveau de technicité, il faudrait sûrement des années. Non, la véritable ingénuité de ce concert dessiné, qui raconte les aventures d’un certain Simon, c’est justement de ne pas seulement suivre le concert en étant admirateur d’un groupe, ou des paroles d’une chanson, ce qui implique comprendre l’anglais. Mais, finalement, construire le spectacle augmenté, qui donne de la force aux belles chansons du groupe. On voit le bateau se déchaîner lors de « La Tempête », les joueurs de guitare chanter dans « London Draggin », et des portraits mélancoliques dans d’autres chansons.
Ce premier concert dessiné a semble-t-il fait mouche, d’autant plus qu’il était gratuit. « On n’espère que ce ne sera pas le dernier », dit Quentin Dagobert à la fin du set. Eh bien, nous non plus !
Mickael Chailloux