Depuis 2012, la sortie de Biophilia, et sa tournée française (concerts notamment aux Arênes de Nîmes, au théâtre de Fourvière de Lyon, et au Zénith à Paris en 2013), Björk a sorti un film live telle une cerise sur le gâteau de tout un délire qui fut un virage dans sa carrière.
En effet, Biophilia fut un album résolument conceptuel, qui avait selon elle, une fonction interactive voire pédagogique qui amenait des éléments naturels à former un tout et grâce à cela, sensibiliser le public à la nature de son pays natal. Musicalement… Ce fut un album brut, le plus ambitieux qu’elle n’ai jamais créé. Elle sortit successivement ce fameux live de la tournée Biophilia en Novembre, puis commença à faire la promotion de ses archives à travers la rétrospective au MoMa de New York qui aura lieu en mars 2015, en plus de son album Vulnicura, pour lequel elle a collaboré avec le Vénézuélien Arca.
Cela nous promettait un mois de mars riche en découverte. Cependant, et comme vous avez pu le lire vu l’abondance d’informations qui a surgit suite à cela, son huitième album a “leaké” (nldr : leak = fuite) sur internet. Quelle aubaine pour les fans, certes ! Mais le leak de son album fut bien la dernière chose qu’elle et son équipe avaient à gérer. Étonnamment, dans son interview avec Zane Lowe pour la BBC, elle fit part de son amusement quelque peu résigné face à ce phénomène. Vespertine avait lui aussi leaké en 2001, c’est donc pour elle une nouvelle preuve de l’enthousiasme indéfectible du public pour ses créations, peu importe la direction qu’elle prend.
“Comment voulez vous stopper l’enthousiasme de fans impatient?”, avait-elle fait comprendre. “J’apprends encore d’Internet, il faut s’adapter !”, en riait-elle. De plus, elle ne tergiversa pas longtemps avant de le publier, car d’une part, il était déjà mixé, et d’autre part, elle avait besoin qu’il soit publié, car elle y raconte un sentiment personnel qu’elle voulait évacuer avec urgence. “Il a leaké? Oh publions le !” Un mal pour un bien apparemment. En effet, Vulnicura est l’allégorie complète du déchirement amoureux, d’un monde qui s’écroule après une rupture. Elle l’a écrit alors qu’elle était encore en pleine tournée pour Biophilia. Ce désarroi émotionnel est dû à sa rupture avec l’artiste Matthew Barney, avec qui elle avait tourné Drawing Restraint 9 en 2005. (dont elle a composé la bande musicale, forcément.) Vulnicura est ce hurlement, ce désespoir et ce processus de destruction et de reconstruction que l’abandon nous fait vivre. Björk nous ouvre son coeur et son âme, sans concessions. C’est l’album le plus personnel de sa discographie. Elle incarne l’artiste qui à travers ses mots, ses mélodies, les nuances de chaque instruments, exprime toutes les émotions, ses failles, son humanité. Lors de son allocution sur la BBC Radio 1, elle expliquait le choix des couleurs de son album : « Dans votre tristesse, vous êtes dans une obscurité qui a néanmoins un effet collatéral total, comme si la souffrance donnait naissance à un état de joie extrême. » Une sorte de schizophrénie émotionnelle.
A travers cet argument, elle fait allusion au rythme dansant de certaines chansons qui parlent de cœurs brisés. Les personnes danseraient alors dans une sorte de transe, dans l’unique but d’extérioriser leurs émotions. Sa pochette d’album est en revanche en contraste avec ses blessures, une sorte d’illustration au fait que la souffrance nous rend vivant, et nous pousse à la quête de la joie, la délivrance ! Elle précise dans son communiqué sur Facebook qu’elle a établi une trame chronologique dans ses chansons, les trois premières se situent avant l’abandon, puis les trois suivantes après.
En prenant un point de vue anthropologique, elle décrit le mécanisme émotionnel d’une rupture. Précisons qu’étymologiquement, Vulnicura vient du latin « vulnus » (blessure), et de « cura » (soin), selon la critique du journal « Le Monde ». Pour Björk, il y aurait une satané horloge biologique dans le processus de guérison. Et, au contraire de vouloir paraître prétentieuse, elle veut que son album soit universel dans sa signification. Tout le monde peut s’y retrouver. Et je ne peux qu’approuver sa théorie. En moyenne, combien de temps prenons-nous pour nous remettre d’une rupture ? Nous ne le choisissons pas, malheureusement. Musicalement, Vulnicura est un retour aux sources de Björk, on y perçoit des références à ses premiers titres grâce à l’usage récurrent des violons, ainsi qu’à ses vocalises. Le premier titre, “Stone Milket”, le prouve dans son intro, à travers les violons qui renvoient à ceux de “Joga” mais avec une tonalité plus positive, plutôt que joyeuse, car je doute que ce terme soit de circonstance. “Lion’s song” me fait également penser à cette dernière chanson de l’album Homogenic. Je ne peux m’empêcher de faire le rapprochement avec l’empressement des paroles “… And you push me up to this state of emergency…”
La troisième chanson, “History of Touches” est clairement représentative d’une sorte de compte à rebours.. “I wake you up in the middle of the night to express my love for you… feeling this is our last time together...” La quatrième chanson, “Black Lake”, débute telle une musique de film après un désastre. Cela me fait visualiser une scène de guerre ou tout est détruit, métaphore du sentiment de Björk, désemparée. Le début de la chanson me fait bizarrement penser à l’intro de “Enjoy”… Progressivement, et en parallèle des violons à tonalité dramatique, déchirant, un battement apparaît, comme on pourrait le retrouver dans “Declare Independance”. Serait-ce un prémisce ? “You betrayed your own heart”, “Family is our secret mutual mission that you abandoned”, “I’m blind in sorrow”… Toutes ses paroles reflètent son malheur profond, son sentiment de trahison.
La cinquième chanson, “Family”, est une référence directe à la parole que j’ai précisé plus haut. Elle répète inlassablement le mot “respect”, allusion au fait qu’il a détruit l’équilibre familial. Le beat lascif (créé par Robin Carolan, qui a au passage mixé l’album) est rapidement rejoint par sa voix désincarnée, créant une atmosphère de perdition émotionnelle. La chanson cesse soudainement pour adopter une autre rythmique guidée par un violon hésitant, chaotique.
“Not Get”, “Atom Dance”, sont successivement les métaphores du fait qu’elle ai touché le fond, avec des tonalités oppressantes pour la première. Puis la seconde débute “We are each others hemispheres” avec une prise de recul… puis une introspection qui l’amène à clamer « Most hearts fear their own home ». La danse des atomes serait une guérison. Antony Hegarty a apporté sa voix à cette chanson, doublée à celle de Björk, toutes deux désincarnées. Elle serait en quelques sortes la transformation d’une femme qui se reconstruit.“Mouth Mantra” et ses beats me font penser à un cœur qui renaît à son tour.
La fin de l’album approche, nous sentons le dénouement arriver. «Quicksand » conclut l’album dans une sorte d’équilibre incertain. « When we are broken, we are whole. When we are whole, we are broken » Que ce soit dans ses paroles, comme dans le jeu des instruments, l’humanité est représentée dans toute sa fragilité. Des sables mouvants comme une lutte inconsciente pour toujours voir le positif, et ne pas laisser nos émotions les plus destructrices prendre le dessus.
…Alors que je vous raconte cette immersion, je ne peux que dire que je me suis reprise une claque, après une énième écoute. La trame chronologique est si précise, les paroles et l’atmosphère créées par les instruments sont tellement significatives de ce qu’elle a voulu exprimer, et représentatives de sa créativité. Björk est une artiste accomplie, sa musique est une ramification d’elle-même. Et c’est d’autant plus ahurissant quand initialement, vous vous faites un avis dans la forme, et que progressivement vous découvrez le fond… et sa profondeur. Attention à la chute.
By Sandra Farrands
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