Laetitia Shériff nous a reçu en toute simplicité et avec beaucoup de gentillesse, quelques heures avant son passage sur la scène du Métronum à Toulouse le 30 janvier dernier. Un entretien dans lequel elle parle de sa tournée qui a débuté en novembre 2014, de ses projets annexes, de ses débuts, et de ses influences.
PDR : Après un pause et une première partie de tournée un peu compliquée (vol du matériels du groupe en novembre, depuis retrouvés), comment abordes-tu ce deuxième acte ? Différemment ?
LAETITIA SHERIFF : Non, c’est la suite. Il y a eu ce moment-là un peu étrange, mais cela n’a rien changé dans l’envie et le travail qui avaient commencé avant.
PDR : A part peut-être techniquement où cela a été compliqué ?
LAETITIA SHERIFF : Oui, en effet, cela a été difficile techniquement. Du coup, on essaie de tout anticiper maintenant et même encore plus qu’avant. On a même rebaptisé la tournée la « Parano Tour », parce que même en faisant tout pour que ça se passe bien, il peut t’arriver un coup de malchance (comme le vol du matériel). Mais finalement c’est hyper-positif car tout cela te met face à des choix que tu as faits il y a très longtemps et qui sont du coup plus qu’affirmés. C’est comme cela que je veux faire et n’a donc rien changé mais a plutôt renforcé les choses. De plus ça a soudé encore plus l’équipe, les gens avec qui je joue, mon entourage. Ce fut positif, éreintant, mais positif.
PDR : Le bon accueil de ton dernier album (presse et public) se ressent-il pendant les concerts ? Y’a-t-il plus de monde que sur les précédentes tournées ?
LAETITIA SHERIFF : Je ne saurais pas te dire, mais quoiqu’il arrive ça se passe plutôt bien. On joue dans des petits clubs. Je crois que ce soir, c’est la salle la plus grosse que l’on va faire. On a même joué dans une salle des fêtes. C’est lié aux relations que tu peux avoir avec des personnes qui gèrent des associations, Staccato, par exemple. C’est le jeu. Ils ont une programmation superbe, ils bossent avec une communauté des communes, donc on peut se retrouver à jouer dans des mini-patelins où les gens n’ont pas forcément accès à la scène rock. Mais c’est vrai que c’est un peu bizarre, tu te retrouves dans une salle des fêtes, il y a 30 personnes qui sont là où il n’y pas de lumière, pour pas qu’on les voit, mais ils sont là, ils restent… mais on passe un super-moment avec l’équipe. On se dit toujours « on joue quoiqu’il arrive », qu’il y ait 15 personnes, 300 ou plus.
PDR : Sur cette tournée, tu joues accompagnée de Thomas Poli (Montgomery) et Nicolas Courret (Eiffel), mais il t’arrive de jouer seule sur scène. Que préfères-tu ?
LAETITIA SHERIFF : C’est vrai, mais je n’alterne pas trio ou solo. Il y a eu trio sur deux albums, je suis ensuite repartie sur les routes toute seule, mais cela ne m’était pas arrivé depuis 2000-2003. Du coup, ça a été l’opportunité de retrouver cette sensation-là avec d’autres outils, notamment une guitare baryton ; découvrir d’autres endroits qui ne sont pas forcément dédiés à la musique : jouer sur un site archéologique à Allones, dans une cave à vin, ou en encore en appartement, etc. J’avais envie de repartir sur ce registre-là. J’ai même eu des propositions de première partie dans des salles de musique actuelles parce que j’étais en solo et c’était économiquement plus cool de m’embaucher. J’ai refusé car j’estimais être dans une autre démarche. Du coup, j’ai pu tester de nouvelles choses toute seule et de ne pas amener mes deux compères au casse-pipe. Ca m’a plu, mais au bout d’un moment, il y a forcément quelque chose qui te manque et la chose que j’aime le plus, c’est de jouer en groupe avec Nico et Thomas aujourd’hui, et avant avec Olivier et Gaël.
PDR : Thomas Poli qui t’accompagne sur scène, a aussi réalisé ton dernier album ?
LAETITIA SHERIFF : Oui en effet. Thomas que j’ai rencontré lorsqu’il était guitariste au sein de Montgomery, avait déjà cette double casquette. Et il est clair que de travailler avec quelqu’un qui sait aussi bien réaliser un album que réadapter tes parties de gratte et les magnifier, et puis pareil pour les claviers, c’est super. On atteint un stade où on arrive, en tout cas pour ma part, là où je voulais être.
PDR : Au regard de ta carrière avec trois albums solo en 10 ans, un ciné-concert, une BO pour un documentaire et une multitude de collaborations : Trunks, EZ3KIEL, DEEP BLUE, etc. On a le sentiment que ce sont davantage les projets, les envies ou les rencontres qui te motivent plutôt qu’un plan carriériste?
LAETITIA SHERIFF : Après faut redéfinir ce qu’est un plan carriériste…
PDR : Par exemple, on ne sent pas que tu es dans un cadre, album puis tournée, puis album et tournée, etc.
LAETITIA SHERIFF : Je n’ai jamais fonctionné ainsi, j’y ai toujours échappé. Surtout quand tu es un artiste en développement, que tu débutes, il y a cette idée du formatage, du clonage. J’avais pas envie d’être dans ce courant-là parce que les gens, musiciens ou non, que j’appréciais et que j’aime toujours ne donnaient absolument pas envie d’aller dans cette direction.
PDR: Tu collabores donc à plein de projets comme Trunks , EZ3KIEL, DEEP BLUE avec Frédéric Vidalenc (ex-bassiste de Noir Désir, à l’origine du projet avec Guillaule Thévenin)? Comment se font ses rencontres ? C’est le hasard ou tu les provoques ?
LAETITIA SHERIFF : Non, ce sont des envies communes… et puis ça fait longtemps qu’on se connait. Par exemple, Fred Vidalenc est venu travailler avec un groupe de chez moi qui enregistrait avec Dominique Brusson (alter-ego de Dominique A de l’autre côté de la console son) . Quand je suis venue jouer la première fois à Rennes en 2001 c’était avec ce groupe, il était là aussi. Il a rencontré Thomas Poli avec qui il a travaillé sur un album, et il enregistrait dans un studio dont je faisais partie. Donc après, on finit par avoir des projets en commun.
PDR : Où en est le projet Deep Blue et qu’est-il exactement?
LAETITIA SHERIFF : C’est vraiment le projet de Frédéric et Guillaume. J’avais écouté un morceau de ce projet-là qui m’avait énormément touché, qui était déjà maquetté avant. Fred m’a dit qu’il en avait d’autres et m’a demandé si je voulais bien intégrer le projet qui est d’inviter une personne à chaque fois. Je suis donc l’invitée cette fois et nous sommes allés à Bordeaux pour passer 5 jours à faire de la co-écriture, refaire des grattes si je voulais. Il y avait une totale liberté.
PDR : Justement comment se passe cette co-écriture à plusieurs alors que tu le fais seule d’habitude ?
LAETITIA SHERIFF : Il faut qu’en face de toi ou avec toi quelqu’un te donne cette confiance-là et qu’il y ait truc pas poussif, mais ultra-naturel. Il y a forcément quelqu’un qui fait le premier pas : je suis venue avec des textes, Fred aussi, en français et en anglais. On a cherché ensemble des thèmes. J’ai senti que c’était ultra-libéré. Et Fred, c’est quelqu’un qui a de la bouteille et c’est lui qui est venu me chercher parce qu’il a senti que j’étais touchée par son projet et par les bonhommes. J’aimais bien ma place : c’est leur projet et je suis leur invitée. Là on en est à la phase de se demander comment on va le sortir, sous quelle forme, tournée ou pas… Un truc très simple pour qu’ils puissent continuer l’aventure parce que cela fait longtemps que les morceaux existent (6).
PDR : On a pu lire que ce sont les poèmes de William Butler Yeats qui t’ont donné envie de chanter mais pour ce qui est des instruments, comment en es-tu venue à la basse et à la guitare ? C’était familial ?
LAETITIA SHERIFF : Non, il n’y a pas eu de musicien(s) dans ma famille, sinon des mélomanes, c’est déjà pas mal, ça aide vachement. C’est au collège ou au lycée, une amie m’avait prêté une guitare folk pendant longtemps, 1 an et demi, deux ans… J’avais 14-15 ans. Les cordes se sont pétées, il n’y en avait plus que quatre et comme je n’avais pas d’argent pour en acheter, j’étais du coup finalement plus dans un jeu de bassiste. J’en ai parlé avec un pote qui avait un groupe qui reprenait du Led Zep, Deep Purple ; moi, je commençais à être dans ma phase rock, Nirvana, Pearl Jam , ma période de « grungette »; et, il m’a proposé de jouer avec eux. Ils ont réussi après à me trouver une basse pas très chère (surement tombée du camion…). A l’époque je faisais baby-sitter, et c’est comme ça que je me suis payée ma première basse, une Jim Harley jaune. Et ensuite mon premier concert était dans la salle de sport de mon lycée, puis un Téléthon dans une piscine…
PDR : Tu parlais de ta période « grungette », justement quelles ont été tes influences?
LAETITIA SHERIFF: J’en ai tellement, j’en ai plein, mais aujourd’hui je dirais qu’elles sont plutôt rock. Ado, c’était plutôt le rock des années 70. Mon éducation musicale s’est faite à la radio, je suis vraiment de la génération radio: Fun Radio, Skyrock, etc. Mais j’avais la chance, en habitant à Lille, de capter les radios belges en plus, notamment Radio 21, RTBF, etc. Du coup, je passais d’une radio à une autre et donc j’écoutais du classique, du rock, de la pop, de l’électro le samedi soir… Cela m’a ouvert l’esprit et m’a complètement décomplexé et aussi donné l’envie de faire de la musique. Je ne suis pas vraiment de la génération Lenoir, mais il arrivait que l’on me file des cassettes de Black Sessions. J’étais aussi curieuse des choses qui se passaient dans ma ville, à l’Aéronef notamment. A l’époque je collais des affiches, donc j’entendais régulièrement dEUs dont j’étais complètement dingue, Joseph Arthur… j’avais 16-17 ans. Ensuite, ça a été Morphine, President Of USA. Puis, je suis arrivée à de la musique plus incisive. J’ai eu aussi une période rock ultra-progressif avec Soft Machine, puis ça a été Leonard Cohen, Nick Drake, les Ramones. C’est un peu comme les rencontres dont on parlait toute à l’heure, ce sont des croisements, des combinaisons. J’ai découvert les Pixies après Franck Black, pareil pour les Jam au travers de Paul Weller.
PDR: On ne ressent pas franchement ces influences dans ce que tu fais…
LAETITIA SHERIFF: C’est encore cette histoire de se ranger quelque part. C’est vrai quand on me demande mes influences, j’ai toujours envie de dire des choses complètement extrêmes : Arto Lindsay, Jesus Lizard parce que j’aime aussi cette musique-là. Tout ça pour justement dérouter les gens qui me demandent si j’écoute PJ Harvey, Björk ou Shannon Wright. Bien-sûr que je les écoute, mais je n’ai pas envie d’être rangée dans le même registre parce que je les écoute. Maintenant j’en rigole, et bien sur j’admire ces femmes et je trouve qu’il n’y en a pas assez comme elles.
PDR: Et aujourd’hui, qu’ écoutes-tu ?
LAETITIA SHERIFF : Ought, ils sont énormes. Beak, et je viens de découvrir Om, c’est du stoner doom metal, c’est un duo basse/batterie. Le bassiste avec sa « Ricken » sort des sons énormes avec ses effets de basses. C’est du lourd…
Propos recueillis par Sylvain Chamu et Greg Pinaud-Plazanet