Review

Lana Del Rey: Réconciliation sans conditions

Je vous pose le décor: Une route quasi déserte, la nuit tombe et les yeux aimeraient se fermer rien qu’un instant, mais la route continue de défiler dans la lumière des phares. Parfois un coyote traverse la route tranquillement, vous ralentissez et il s’arrête presque pour vous regarder passer, placide, puis reprend sa route vers le désert, se désintéressant de votre sort. Au loin des lumières vous indiquent que vous allez pouvoir enfin vous extirper de votre voiture et poser vos bottes dans la poussière pour aller vous dégourdir les jambes, fumer quelques clopes et éventuellement voir si vous ne pouvez pas boire un truc frais car la chaleur dans le désert n’a pas encore été rattrapée par la fraîcheur de la nuit. Vous garez la voiture, ouvrez la portière et sortez un clope.

Plan large arrière, vous êtes garé devant une espèce de bar routier avec une rangée de motos devant et quelques camions sur le côté du bâtiment. Ça ne paie pas de mine mais ça remplira son office. Vous poussez les portes. Le bar est finalement assez cosy, drapé de tentures rouges en velours et de grandes banquettes en cuir noir. Les lumières sont tamisées et l’ambiance est sereine. Vous vous installez au comptoir quand un gars, tatoué de partout harangue les clients présents avec vous dans la salle, depuis la scène. Il a l’air de vouloir présenter le show suivant. Les tentures bordant la scène s’entre-ouvrent juste pour laisser passer une assez belle femme, cintrée dans une robe bustier aussi rouge que le rideau qui la cachait. De longs cheveux bruns étreignent ses épaules et sa bouche, aux lèvres pulpeuses commence à chanter un truc un peu planant sur fond de frottis des balais d’un batteur que l’on ne voit pas et de quelques accords de guitares réverbérées et plaqués quelque part derrière les rideaux.

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Le troisième album de Lana Del Rey m’a fait cette impression lors de son écoute: Etre précipité dans un film de David Lynch (un truc à la Blue Velvet), dans un endroit improbable qui n’est pas du tout ce qu’il parait être, hypnotisé par la voix d’ambiance de la brunette qui s’offre la couverture de son propre disque. Si son second opus, Born to Die ne m’avait pas convaincu, contrairement à la moitié des  journaux web ou autres, celui-ci m’a mis le cœur à la retourne. Sur Born to Die, trop de chansons paraissaient surfer sur des choses actuelles (Off The Races par exemple), même s’il était tout à fait bien produit. Cela faisait d’elle, à mes yeux, plus un phénomène spontané et opportuniste qu’autre chose. En effet j’étais beaucoup plus attiré par des morceaux comme Blue Jeans ou Video Games. Mais lorsque vous entendez juste derrière des morceaux comme Diet Mountain Dew, This is What Makes Us Girls ou encore National Anthem… Non, pas pour moi, merci. Je n’ai cependant pas affublé la belle de méchants mots comme l’autre moitié de la presse musicale.

Dans Ultraviolence, on reste sur un style du début à la fin… et quel style ! Un parti pris étonnant. Un truc mystérieux, presque digne de la B.O d’un film indé. Inutile de vous dire que je me suis réconcilié avec Lana le temps de cet album, en attendant la suite. Tous les titres s’enchaînent à la perfection, découlent presque les uns des autres, comme des matriochka. Alors oui, les tempos sont assez lents, à l’opposé de ce que nous laisse penser le titre de l’album, mais ce tempo est compensé par une orchestration aux petits oignons, tout en petites touches, qui font que la voix est très fortement mise en avant avec un léger effet des plus plaisants. Lana Del Rey fait même des merveilles sur Shade Of Cool avec un travail des plus habiles. L’album est très sensuel dans son ensemble, bien plus que Born to Die, tout en traitant toujours de thématiques particulièrement glauques comme la violence domestique par exemple. Mais ici, loin des beats Trip-Hop du précédent opus, Lana nous raconte cela en y ajoutant une touche envoûtante et féminine jusqu’au bout des ongles. Beauté empoisonnée victime de violence et folle amoureuse de son bourreau… La compositrice poétise la violence, la rend langoureuse et cinématographique. Les textes sont bien écrits, il faut le dire aussi, elle qui s’est fait laminée par certains à l’époque de la sortie de Born to Die. Oui Lana Del Rey, on aime ou on déteste.

Après avoir annoncé, blessée,  qu’elle ne désirait plus enregistrer d’album, sa rencontre avec Dan Auerbach (Black Keys) décide du sort de quelques morceaux enregistrés fin 2013 (presque une maquette). Le guitariste des Black Keys la dirige alors vers un son plus vintage, enregistré sur du vieux matériel, bien souvent trouvé en faisant les fond de boutiques. Les morceaux se sont posés, colorés, déstructurés un peu même, pour s’éloigner du Classic Rock des morceaux existant jusqu’alors. Il y cohabite un certains chaos parfois, comme dans Shade of Cool ou encore la chanson d’ouverture Cruel World. D’autres sont tout en finesse de bout en bout (Old Money), mais tout pointe vers le même paysage: la femme fatale qui souffre d’offrir son amour à des gars qui n’en font aucun cas, c’est l’histoire de l’album que Lana Del Rey projette en ombres chinoises sur les murs de votre chambre à la nuit tombée. Drogue, amours impossibles mais malheureusement toujours à la recherche de Mister Goodbar (Richard Brooks, 1977).

L’album est réellement troublant, et cela est sans aucun doute dû en grande partie à sa voix, plus travaillée en nuances, et là aussi embrassant parfois le chaos. J’aurais aimé savoir à quoi aurait ressemblé le duo Brooklyn Baby, prévu avec Lou Reed. Malheureusement Lou a manqué son rendez-vous avec la chanteuse, le triste jour que l’on sait. Dans sa globalité le disque est assez sombre tout en déployant une beauté non feinte. Comme si la chanteuse était arrivée à sublimer le mal-être qui la ronge depuis quelques années. J’espère que cet album ne restera pas sans suite.

Greg Pinaud-Plazanet

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