Dire que je suis un spécialiste de Morrissey est totalement faux, même si j’ai écouté tous ses albums au moins deux fois chacun à part deux ou trois d’entre eux qui sont dans ma discographie idéale. Je suis un spécialiste des Smiths, ça oui. Je peux vous raconter où Morrissey et Marr ont commencé fortuitement leur collaboration en composant Suffer Little Children: tranquillement assis sur le lit de la chambre du petit Steven. Je peux vous raconter pleins d’anecdotes derrière quasiment toutes les chansons des Smiths, qu’il y a eu un cinquième Smith… Que contrairement à la rumeur ils n’étaient pas séparés lors de l’enregistrement de leur dernier album, que leur séparation est partie d’un article dans la presse, qu’ils se sont entre déchirés pour les royalties etc etc. Mais je suis ici pour vous parler de Morrissey. Et The Moz, comme les américains l’appellent, est un mystère vivant. oh il ne vit pas en reclus dans l’ancienne maison de Clark Gable, au dessus de Sunset Boulevard, à L.A, non, il en sort, va promener son chien comme tout le monde, va à la plage, conduit sa belle jaguar (restons un peu anglais tout de même…) sur les routes californiennes. Là où il cultive le mystère, c’est pour le reste: son image en tant qu’être, et sa musique.
Ce mois-ci, dans quelques jours plus précisément, sort World Peace Is None Of Your Business. Un titre d’album qui sent bon la moralisation, ce qui est un poil déplacé venant d’un homme qui cultive les ambivalences verbales. Morrissey l’ouvre sur tout, dès qu’il a une opinion. Bien-sûr, à force, et les médias s’emparant du moindre de ses mots sorti d’une de ses fameuses déclarations tonitruantes, les choses se déforment et on s’accroche à un pins, ou à quelques paroles de chanson et… Il est raciste, il est homosexuel, il est ci, il est ça. Personne n’aura oublié sa comparaison entre manger un animal et la pédophilie… Cela n’intéresse finalement que les tabloïds anglais, en France Morrissey est quasi absent des magazines autres que musicaux. Bref, c’est l’homme que l’on aime pousser à la controverse outre manche. Pourquoi ? Parce qu’aux Royaumes Unis, tout ce qui touche le Moz se vend comme des petits pains chaud à la sortie d’une boite de nuit. C’est une icône et une icône se doit de connaitre la crucifixion.
Morrissey est aussi vénéré en Amérique du Sud. Aucun rapport de cause à conséquences mis à part son déménagement définitif de Hulme, banlieue de Manchester, vers L.A, CA et donc ses fréquentes tournées dans le nouveau monde, ainsi qu’une tendance de la population sud américaine à adorer religieusement la moindre icône (ils n’y peuvent rien, cela leur vient de nos voisins espagnols). Et connaissant le fanatisme des fans sud américains pour notre englishman, ce que je vais vous dire va m’attirer les pires ennuis au monde. Mais je n’en ai que faire, la passion avant tout: Le dernier album de Morrissey… ne vaut pas le coup. A vrai dire, je ne connais de lui que deux albums qui sont exceptionnels: Viva Hate, son premier en solo composé en grande partie avec Stephen Street, et Vauxhall and I, véritable chef d’oeuvre de vitriol textuel, beaucoup plus éloigné des Smiths que le premier. Entre ceux-ci et après Vauxhall (…), je ne retiens… quasiment rien sinon quelques excellentes chansons de-ci, de-là, bien trop rares malheureusement.
Dans un numéro des Inrocks ancienne formule, Morrissey déclarait que David Bowie, tout comme Johnny Halliday auraient dû s’arrêter de faire de la musique avant qu’il ne soit trop tard. Je ne suis qu’à moitié d’accord avec lui: Oui Johnny aurait dû s’arrêter, c’est une évidence. Cela fait quelques temps que je pense sincèrement que Morrissey aurait dû s’arrêter aussi…. mais hey ! Pourquoi le ferait-il alors qu’il a je ne sais combien de milliers de fans à travers le monde, hein ? Cependant c’est tout de même mon opinion et je la partage au moins avec moi-même ce qui est déjà pas si mal quand on sait que je ne suis pas le seul locataire de ma pauvre tête… Bref. Par contre je trouve qu’il aurait dû se mettre à l’écriture. Non que ses chansons n’aient pas d’excellents textes, mais au lieu de les mettre en musique il aurait dû mettre sa poésie (oui parfois cela en est, littéralement), sa prose, ses pamphlets, ses règlements de comptes avec les médias ou anciennes relations etc, sous forme de bouquins. Car aujourd’hui j’écoute l’album et je ne trouve rien à aimer. Je n’aime pas ses orchestration devenues pompeuses, encore moins regarder la caricature qu’il est devenu de lui-même donner un concert par contre oui j’aime encore sa verve littéraire. Morrissey aujourd’hui, pour moi se lit et ne s’écoute plus. Bien-entendu je vais à l’encontre de l’avis de tous ses fans et pour cela je serai surement pendu un jour. Tant pis, il faut bien finir sa vie et pour cela, autant choisir sa mort !
L’album adopte beaucoup de motifs plutôt hispaniques (très proéminents sur The Bullfighter Dies et Earth Is The Loneliest Planet), jusqu’ici totalement absents de sa discographie à quelques exceptions près (Little Man, What Now ? sur Viva Hate entre autres). Et même si une chanson comme Staircase At the University pourra éventuellement rappeler quelques sonorités sympathiques au fan des Smiths que je suis resté, le morceau ne s’élève pas au niveau de la grande époque. Istanbul s’en tire pourtant honnorablement mais reste timide. Les textes de Kick The Bride Down The Aisle ou encore de Neal Cassady Drops Dead sont cassez amusants et bien écrits. Certaines autres chansons sont avant tout des textes qui servent sa propre personne (que dire du dernier morceau de la galette, I’m Not A Man, inutile s’il en est). Mais Morrissey c’est aussi ça. Cet égo tout en démesure qu’il aime flatter. C’est donc tout naturellement qu’il se fait moralisateur en abordant l’apathie politique du monde dans la chanson titre de ce dixième album. La chanson est terne, presque trop simple et simpliste, comme son thème et je ne comprends pas bien moi-même comment il peut parfois tomber dans ces facilités si convenues lorsque l’on sait qu’il est capable de sortir des Speedway avec son bruit de tronçonneuse qui en disait long sur le texte ou encore un Why Don’t You Find Out For Yourself ou l’excellent mais provocateur National Front Disco… mais c’était il y a longtemps sans doute. Peut-être trop. Le problème est que les fans inconditionnels n’auront même pas l’honnêteté de le reconnaitre. Tant pis, qu’à cela ne tienne, Morrissey restera quoiqu’il arrive The Moz, celui qui aime choquer en déclamant de façon nonchalante ses points de vue si ambigus. Il n’y a qu’à voir la pochette même de l’album qui nous compare, nous, votants, et perpétuant ainsi l’apathie politique de ces dernières années, à de bons toutous… Oui car le thème central de la chanson titre c’est tout de même cela ! Et lorsque de l’autre côté vous entendez: « Votez pour changer les choses ! », avouez qu’il y a comme un décalage. Pour autant les deux paradigmes sont défendables et mériteraient réflexion seulement Morrissey le fait ici sans la finesse qu’on lui connaissait habituellement par le passé et c’est dommage.
L’homme est beaucoup plus grand que le chanteur-crooner qu’il est devenu avec le temps et pour conclure je dirai que je préfère retenir ses textes, souvent poétiques et/ou sarcastiques, bien plus que sa musique, somme toute plus que moyenne depuis des années déjà. Morrissey reste donc quelque part dans mon coeur mais a définitivement quitté mes oreilles depuis longtemps et il n’est pas prêt, avec cet album, d’y revenir.
Greg Pinaud-Plazanet