Il y a 40 ou 50 ans, ils auraient pu être à la place des Sex Pistols, au CBGB ou à la Factory de Wharol. Un impressario les aurait repérés, un label aurait financé leurs projets, bref, on serait venu les chercher. En 2013, la situation est radicalement différente. Entre l’industrie du disque en décomposition et les radios commerciales qui diffusent inlassablement les même choses, il n’y a plus beaucoup de place pour les jeunes groupes talentueux qui font la musique qu’ils aiment, (et pas celle qui se vend). Comment se porte réellement la scène amateure aux ambitions légitimes ? Comment ces jeunes rockeurs parviennent-ils à faire vivre leur musique dans une époque où les gens ne sont plus là pour les écouter ? Comment voient-ils leur avenir et celui du rock aujourd’hui ? Pour répondre à ces questions, j’ai rencontré de jeunes groupes de rock, tous différents, avec leur histoire, leur style et leurs projets et voici le premier d’entre eux.
Obsolete Radio : «Une énergie destructrice»
François et Hugo sont respectivement batteur et bassiste du groupe Maubeugeois, Obsolete Radio. Avec Nico et Yohan à la guitare et au chant, ils ont décidé de former un groupe, il y a quatre ans. Ils se revendiquent post-punk et à l’écoute, la musique s’impose d’elle-même. Si au son, ils laissent transparaître une énergie destructrice, sur scène c’est bien pire. Spectatrice à leur concert au Grand Mix de Tourcoing en octobre dernier, ils ont laissé une salle à la fois sur le cul, et chauffée à vif. L’interview se déroule autours d’une bière dans une ambiance tranquille sans prise de tête. Pourtant la grosse tête, ils auraient pu la choper à la longue. A seulement 20 ans, ils ont joué au festival Taubertal en Allemagne l’été dernier, devant 20 000 personnes, gagné de nombreux tremplins et s’apprêtent à sortir leur second EP le printemps prochain, qu’ils ont enregistré avec Franck Marco le batteur de Saule (Dusty Men ft. Charlie Winston, rien que ça !) Mais pour eux, rien n’est encore acquis, loin de là. Quand il s’agit de musique et pas seulement de la leur, ils ne s’arrêtent plus, parlent en même temps, et il devient compliqué pour moi de relever leur réponses. Preuve d’une passion bien ancrée dans leur tripes, parce que c’est avec cela qu’ils jouent, ils le disent eux-mêmes, « avec nos tripes ».
Le Peuple du Rock (PdR): Tout d’abord, depuis combien de temps êtes-vous dans la musique ?
Hugo : Ça va faire cinq ans cet été que je fais de la basse.
François : Moi, j’ai grandi dans un environnement très classique. Mon père était pianiste : j’ai été au conservatoire, ai dû étudier le solfège et j’ai joué du violoncelle pendant cinq ans.
La batterie, ça fait quatre ans.
PdR : Vous vous connaissez depuis longtemps ?
F : Avec Nico ça va faire 7, 8 ans ?
H : Ouais c’est ça. François et moi on se connait depuis 5 ou 6 ans. Nico, le leader du groupe, c’était mon voisin. J’ai fait de la basse avec lui, qui faisait de la gratte. Puis on a connu François et on a commencé à jouer avec sa batterie dans son grenier. Yohann c’est le deuxième guitariste. Nico et lui se sont connus au lycée à Maubeuge. Un jour Nico a ramené Yohann en répét’. Ça s’est bien passé, et puis on s’est dit : « Bah allez, les gars faisons un groupe ! »
PdR : Le groupe existe depuis 2009 officiellement. Pourquoi Obsolete Radio ? Et ce visuel des lunettes 3D ?
H : Ca vient d’une connerie avec Nico. Un week end, celui d’Halloween, j’avais chez moi le DVD de Shrek 3D, avec des vieilles lunettes en carton bien cheap bien ringardes et nous avons fait le tour des maisons pour demander des bonbons. Et puis on s’est dit les lunettes 3D en carton rouge et bleu, c’est bien ringard en fait, aujourd’hui, c’est devenu carrément obsolète.
F : On voulait aussi mettre « radio » dans le nom de notre groupe, alors ça a donné Obsolete Radio. De plus les lunettes c’est devenu notre visuel. Avant ce nom on s’est appelé Guess Why ?! Mais c’était déjà pris par un groupe norvégien qui avait déjà sorti 3 ou 4 albums. C’était pas bon au niveau juridique mais aussi en terme de visibilité. Aujourd’hui les gens retiennent soit le nom soit les lunettes 3D, et les pulls à capuches qu’on porte à chaque concert.
PdR : Dans le contexte actuel, c’est beaucoup plus dur de se faire connaître, est-ce que vous ressentez cette difficulté ?
H : Oui, carrément. Un groupe ne réussit pas comme ça, à moins d’avoir un bon gros piston. Il doit passer par les tremplins, faire énormément de concert.
F :Le secret c’est la scène. On ne peut que conseiller aux groupes amateurs de faire des tremplins, parce qu’ils nous ont été énormément profitables. Par exemple, le tremplin Emergenza, nous a permis de faire une tournée européenne en mai prochain. Aujourd’hui on a trois dates de programmées dans des festivals en Allemagne, plutôt bien côtés.
PdR : Est-ce les réseaux sociaux sont importants dans la démarche de visibilité du groupe ?
H : Oui énormément. Tout ce fait par Facebook aujourd’hui, heureusement ou malheureusement. Je pense que Facebook c’est le premier réseau social, où il faut être le plus présent. Il y a aussi Twitter. C’est de la communication pure.
F : Surtout Facebook, c’est notre vitrine. Ce qui est génial c’est que ça facilite beaucoup le contact entre diverses structures. Notamment, avec les autres groupes amateurs. Grâce à Facebook, on découvre des groupes, avec qui on peut jouer, qu’ils viennent de Belgique, de la région, parfois plus loin en France. C’est peut-être le plus qu’on a par rapport à avant.
H : Oui, C’est un véritable outil qui favorise l’émergence sur la scène régionale et nationale et pourquoi pas internationale.
PdR : Vous vous revendiquez post-punk, comment vous définissez ce style de musique ?
H : Post Punk parce que c’est du rock. Punk, parce qu’on a toute l’énergie de ce courant musical. Après, nous ne sommes pas des punks, même si on adore ça. On s’inspire beaucoup de la musique arrivée après le punk, comme The Cure et leur son très aéré, qui est certes qualifié de groupe New Wave, mais Obsolete Radio tire ses influences de nombreux styles différents.
F : J’aime souvent dire qu’on est à la croisée de The Hives pour l’énergie sur scène, et dans la musique de fond, on peut entendre des choses plus psychédéliques, des mélodies plus posées, comme celles des Raptures. Pour qualifier le post punk, je pense à Savages, Soviet Soviet, At the Driving. Ces groupes sont spectaculaires sur scène. On aime bien prendre modèle sur ce dynamisme. On est un groupe de scène avant tout.
PdR : Comment voyez-vous la musique dite commerciale, celle qui s’entend à la radio ?
H : C’est triste. Même si je n’ai rien contre ce qu’on peut entendre à la radio, ça me fait mal au cœur dans le sens où les artistes ne font plus un véritable travail de fond. Nous, de notre côté, on se donne à fond pour construire un vrai projet, on travaille énormément, et on galère ! On connait plein de groupe dans notre cas, qui ont le talent, la volonté, l’ambition, qui bossent sérieusement et qui mériteraient vraiment d’être plus connus.
F : Les mentalités ont changé, mais ce qui est dommage c’est qu’on est dans un contexte où les gens sont constamment pris par cette musique commerciale. Ils l’ont tout le temps dans la tête et se détachent des genre comme le rock, le reggae, le métal. Aujourd’hui, dans les cours d’écoles, de collèges et même de lycées, les jeunes ne connaissent plus Bloc Party, The Hives. Ils connaissent seulement les trucs mythiques dont on parle encore aujourd’hui comme les Rolling Stones et encore… Ce n’est pas très encourageant pour nous…
PdR : Le rock serait-il dépassé ?
F et H : Ah non ! Pas du tout !
F : Le rock se vend moins bien que la musique commerciale. Le problème de la musique d’aujourd’hui, c’est que le seul objectif c’est l’argent. Les producteurs, quand ils investissent dans un groupe ils veulent d’abord vendre, à défaut de produire de la qualité.
PdR : Est-ce que le rock est destiné à une élite d’après vous ?
H : Absolument pas. C’est pour tout le monde. Le rock raconte quelque chose, mais il est pollué par la musique commerciale. Si on mettait de côté tout ce qui passe à la radio, et qu’on faisait écouter du rock non-stop, les gens finiraient par aimer le rock.
F : Le problème c’est qu’on ne donne plus les moyens aux jeunes d’aimer le rock. Ils ne peuvent pas connaître d’autres choses que ce qu’on leur fait écouter. On est dans une génération qui se contente de ce qu’on lui donne. Heureusement, il existe encore des jeunes qui vont aller écouter des styles expérimentaux, du rock, du reggae. Mais il faut faire la démarche et c’est là le souci. Il faut se donner le temps de découvrir d’autre chose. La musique commerciale c’est du matraquage.
PdR : Nicolas Ungemuth a dit que le rock n’a plus rien de subversif et dit même qu’il est mort à l’heure actuelle. Êtes-vous d’accord avec ce point de vue ?
H : Non. Tant qu’il y aura des gens qui seront là pour faire du rock, pour écouter du rock, pour aimer du rock. Le rock sera jamais mort. Et puis le rock ce n’est pas que de la musique, c’est une façon d’être et de vivre. C’est une mentalité. On fait de la musique parce que ça nous plait, parce que c’est comme ça qu’on le ressent. La musique c’est pas seulement pour râler sur la société. Même si c’est important d’avoir, il n’y en a pas systématiquement un, à chaque fois. Le rock, c’est d’abord transmettre ce qu’on ressent et ce qu’on vit.
F : Je suis pas d’accord quand on dit que le rock ne provoque plus. C’est faux. Faire du rock c’est une manière de dire « fuck » à la musique commerciale. Nous on est là pour dire que non il n’y a pas que ça. On ne fait pas parti d’un troupeau de gens qui écoutent la même musique. Pour nous faire de la musique, c’est partager une expérience avec le public, c’est donner notre énergie. Quand on est sur scène, on s’ouvre totalement aux autres. On se laisse aller et on espère que les gens vont aimer.
H : Quand on est sur scène, on est nous-même. Et on est bien vénères ! (rire) En général le public nous retient parce qu’on est nerveux et carrément dingues quand on joue ensemble.
PdR : Est-ce que les groupes catégorisés «rock» aujourd’hui, sonnent rock pour vous ?
F : Ça dépend des groupes, il y en a qui arrive à sortir des albums géniaux, d’autres non. Si on prend Franz Ferdinand et Arctic Monkeys on a kiffé, un temps. Mais le dernier album des Artic Monkeys, AM, on a pas vraiment accroché. Il ont perdu l’énergie qui les caractérisait.
H : Nous, on s’amuse à dire qu’ils sont passés du côté obscur de la force. (rires) Je trouve que l’esprit qu’il y avait dans le premier album a totalement disparu aujourd’hui. Et puis, ils ont carrément pris la grosse tête.
« La chance il faut la provoquer »
PdR : Vous avez tous les deux 19 ans, Nico et Yohann en ont 20. Vous avez sorti deux EP, travaillé avec Franc Marco, gagné de nombreux tremplin, et avez une expérience de la scène. Comment expliquez-vous votre parcours déjà très conséquent pour votre âge ?
H : On a une chance incroyable d’abord de bénéficier de l’accompagnement personnalisé de groupe de l’association Bougez Rock. On y a eu droit grâce à notre victoire au tremplin L’Ascenseur en 2010. Bougez Rock, c’est une association qui aide les jeunes groupes émergents locaux. Au niveau artistique, technique, et aussi administratif. On nous a mis à disposition du matériel, et on nous a appris à nous en servir. Cette aide a été et est toujours extrêmement précieuse pour un jeune groupe amateur comme nous.
F : On est beaucoup suivi par Seb 2KST, le dirigeant de l’association. Il est devenu notre manager et notre directeur artistique en même temps. Il est l’oreille extérieure dont on a besoin quand on compose et quand on joue. Il est là pour nous dire si ce qu’on fait est bien, ou si on doit corriger des choses. On lui doit énormément.
PdR : Vous vous voyez comment aujourd’hui par rapport à vous débuts ?
F : Rien n’est acquis. Dans la musique on dit souvent qu’il faut avoir de la chance. Moi je pense que la chance, il faut la provoquer. C’est-à-dire, participer à des festivals, être présent sur les réseaux sociaux, faire des tremplins, se donner le plus de visibilité possible.
H : Par exemple, lors de notre participation au tremplin Les Jeunesses Musicales Françaises, à défaut d’avoir remporté le concours, un des jurés Phillipe Albaret, directeur du Studio des Variétés de Paris, s’est engagé à nous ouvrir les portes de ses studios car il nous a trouvé un vrai potentiel.
PdR : L’objectif d’Obsolete Radio est-il à la professionnalisation ou vous vous destinez à une autre carrière ?
H : On espère vraiment vivre du groupe, et devenir musiciens à part entière. Je ne me vois pas travailler dans un bureau à 40 ans en me disant, «merde, si j’avais su, je serais parti avec le groupe ! » Pour moi, ma carrière c’est avec Nico, François et Yohann, c’est sur scène, avec Obsolete Radio ! Après, il ne faut pas aller trop vite. On a bien conscience qu’il faut aller étapes par étape et réfléchir sur chaque décision. C’est important de prendre son temps et petit à petit, on peut vraiment y arriver.
F : On veut vraiment faire ça de notre vie : des tournées, voyager, jouer notre musique. On a vraiment l’envie de monter quelque chose de sérieux et surtout de prendre du plaisir. Et tous les quatres, on est d’accord sur ce point-là. Si on a l’opportunité d’arrêter nos études pour se lancer dans la musique et réussir, on le fera ensemble sans hésiter.
PdR : Vous avez confiance en l’avenir ?
H : On ne sait pas ce qu’il nous réserve. Mais on est motivé.
F : Et rien va nous arrêter !
Obsolete Radio est ce qu’on peut imaginer de mieux pour l’avenir du rock. Avant tout, groupe de scène, le plus important pour eux c’est de jouer ce qui leur plaît. Le rock, et cela se ressent, vit et grandit en eux. Et c’est rassurant. Si vous êtes dans les environs de Lille, vous pourrez les voir jouer au bar Le Modjo le 20 Février. A l’occasion de leur second EP, il organiseront une Release Party le Samedi 29 mars, à la Maison Folie Moulins le samedi 29 Mars, à Lille. Et pour les adeptes des sports d’hiver, ils seront aussi à l’affiche du festival Rock The Pistes aux Portes du Soleil (Alpes de la France) le 26 et 27 mars.
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Pour les écoutez c’est sur bandcamp, ici.
Propos recueillis par Juliette Geenens
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Après de long mois sans publication, j’ai enfin ressorti les outils pour pondre un mini-dossier sur les groupes amateurs et leur évolution dans le contexte difficile qu’est notre époque ! Obsolete Radio sont les premiers à passer au scanner.
Article intéressant. Ah ce sacré fléaux de la musique commerciale. Quatre accords, deux trois notes, une vieille mélodie entêtant (généralement un recyclage des tubes de l’année précédente), une paire de seins, des abdos en béton, et c’est plié…