Un jour ou l’autre, nous étions dans l’obligation de parler à nouveau du chanteur Charles Bradley, l’oncle retrouvé de la Soul, qui revient cette année avec un second opus Victim of Love. Un retour éclair sur un album bigarré qui a un parfum d’amour et de tendresse. Surprenant, éclatant, toujours aussi sincère, on en parle sans plus tarder.
Le second album est toujours une épreuve délicate. Pour Charles en revanche, l’enjeu est différent. Il avait en effet réussi l’impossible : débuter sa carrière de chanteur à un âge où les mots « petits-enfants », « rhumatismes » et « nostalgie » comblent en principe notre quotidien. La nostalgie, Charles l’a, dans un sens, lorsqu’il se remémore dans son premier album No Time for Dreaming, (produit par les gars de chez Daptone Records et de Dunham) son parcours chaotique qui heureusement connaîtra un happy end, ouf. Une belle revanche sur la vie pour le soulman naît dans le quartier difficile de Brooklyn. Mais après une longue et interminable traversée du désert, Bradley semble maître de sa destinée. Victim of Love est un second LP appliqué, net, mais aussi un revers du gauche d’une efficacité redoutable qui balaye les derniers doutes qu’il pouvait encore avoir il y a peu. The Black Velvet comme on le nomme lorsqu’il imite sur scène son mentor James Brown, n’a jamais voulu prétendre à quoi que ce soit. Humble mais déterminé, il œuvre désormais à rattraper le temps perdu.
Il y avait dans No Time for Dreaming comme un jaillissement de sentiments mélangé entre peines et reconnaissances. L’album, bien que perfectible, restait beau et très émouvant. Dans Victim of Love, la fleur fanée s’épanouit enfin et profite de la brise matinale qu’elle attendait depuis toujours. On découvre chez le chanteur un tout autre attrait de sa personnalité, plus libre, plus sensuel et plus délicat qu’on avait déjà pu découvrir sur le titre Loving You Baby, présent sur son premier album. Est-il pour autant meilleur que son prédécesseur ? Rien n’est sûr. Quoi qu’il en soit, Victim of Love fait inéluctablement un bien fou.
Déjà, c’est beaucoup plus gai qu’avant, bien que certains titres gardent encore une ambiance pesante (Let Love Stand a Chance). Mais en dépit de cela, on n’est clairement plus dans une mélopée à nous faire pleurer toutes les larmes de notre corps. Charles Bradley a trouvé la paix de l’esprit. Mieux encore, il a trouvé l’Amour. Certes, pas besoin de beaucoup de jugeote pour l’avoir compris quand on lit le titre de l’album. Le cœur toujours aussi sensible, il a choisi de rester dans un cadre intime avec son auditoire. Il nous donne de ses nouvelles, nous raconte comment va la vie, qu’il a rencontré l’amour et que ça ne file pas trop mal pour lui en ce moment. In love le Charles.
Mais l’album ne s’arrête pas seulement à cet aspect-là. On ne parle jamais assez des acteurs de l’ombre, ceux qui sont derrière la scène et qui pourtant arrivent à rendre l’improbable viable. De véritables magiciens. Ici, on saluerait incontestablement la performance d’une bande de musiciens blancs qui redonnent vie à un courant musical qui n’est pas leur héritage mais qu’ils comprennent. Ils arrivent à transmettre en 2013 cette même chaleur, cette même profondeur, cette-même puissance que l’on ressentait dans la soul des années 1970. Vérification lorsque l’on met en marche la machine et qu’arrive le morceau Strickly reserved for you. Sa structure est très classique et pourtant, on aime. C’est pur, c’est vrai, c’est bon.
En restant dans la thématique fleur bleue, on prend un petit bol d’air frais sur You put your flame on me (so cute) avant d’arriver progressivement sur Victim of Love. Le côté folk est sans nul doute la touche en plus qui fait toute la différence sur ce qu’on aurait pu retrouver auparavant. Le titre éponyme nous fait roucouler comme des tourterelles avec ses paroles « Amour d’un jour, amour toujours » et sa candeur à la limite du gnian-gnian. Okay, c’est cul-cul la praline mais c’est mignon. Oh et puis faîtes pas genre, tout le monde aimerait apprendre qu’on a touché le cœur de quelqu’un au plus profond de lui simplement en lui disant « Bonjour ». Je caricature bien-sûr. Bref.
En sus de toutes ces exclamations à l’eau de rose, il est à noter le soin apporté à l’arrangement du LP. On avait fait mention plus tôt des performances techniques des musiciens et vraiment, la composition de l’album se veut plus étoffée, plus aboutie mais aussi plus originale qu’avant. C’est le cas lorsque l’on s’attarde par exemple sur les morceaux Confusion ou encore Where Do We go from here, tous deux bluffants. Sur Confusion, Charles Bradley se prendrait presque pour David Lynch avec une intro psychédélique : « Feeeear ». Impensable dans un registre Soul à priori. Pour le coup, Bradley marque des points. La fin de l’album se veut plus calme après avoir goûté à l’excellent Where Do We go from here.
Sans être caustique, Victim of Love n’était pas l’attente de l’année avec un grand A. On avait eu droit à un premier album convaincant derrière une histoire aussi folle que celle de son contemporain Sixto Rodriguez mais c’est tout. Seulement de la même manière que l’avait fait « L’Empire contre-attaque » en 1980, Charles Bradley revient en force, plus sûr de lui et fait définitivement taire les mauvaises langues (la mienne en l’occurrence). Victim of Love est de bonne facture et on pourrait même aller au-delà en ajoutant au fait qu’outre ses qualités, il y a une prise de position novatrice, risquée par moments (Confusion) mais il n’en demeure pas moins que son audace est payante et rien ne gâchera notre plaisir d’écouter encore et encore cet album réussi.
Marcus Bielak