Vendredi 14 juillet 2012, il pleut des cordes sur Monts et le château de Candé (Indre-et-Loire) depuis plus de deux jours. Mais pour les organisateurs et les quelques 600 bénévoles présents sur le site, l’heure n’est pas à l’apitoiement. Tout est installé, les artistes peuvent être accueillis et les premiers festivaliers prendre place dans le camping dont le sol revêt un par terre de boue phénoménal.
Les camions enlisés dans la boue donnent l’occasion de se rencontrer, chacun, festivaliers, bénévoles, organisateurs s’activent à les faire démarrer, à les placer dans le parking et se réconfortent lors d’un apéro bien mérité. Puis, c’est l’heure des concerts. Le jeune groupe fringant Little Frenchies enchante par sa fraicheur et son aplomb qui laisse envisager un avenir prometteur. Puis, Catherine Ringer, à son tour, réchauffe les âmes détrempées par les averses incessantes, en servant une savoureuse variété de ses compositions solos et de celles des Rita Mitsouko. On s’y croit tellement, qu’elle-même avoue à son public médusé, revoir son mari ressuscité.
Il est 21h30 lorsqu’une horde de fans emboués descendent le site du château de Candé en direction de la grande scène et de leur idole Emir Kusturica. Après un dernier rappel chaud bouillant, on peut entendre ici et là que les conditions météos déplorables ne refroidiront pas les festivaliers enthousiasmés par le début de cette 8ème édition démarrée en grande pompe.
Pourtant, on apprend que Joey Starr est en retard et pourrait bien manquer au rendez-vous qu’il avait donné au public tourangeau. Pas de panique, le « superband » C2C est, quant à lui, bel et bien disponible, prêt à remplacer le rappeur au pied levé. Les premières vibrations électroniques émanent de la glaise, on croit alors à l’irruption du monstre Golem dans les entraves de la scène, mais c’est le groupe nantais qui fait irruption dans un cataclysme. La foudre tombée quelques minutes plus tôt paraît bien inoffensive devant la puissance sonore de C2C, des plus tonitruantes. La scénographie est parfaite avec ses jeux de lumières d’une beauté rare, la simulation du clash entre Beat Torrent et Hocus Pocus (les deux groupes qui forment le superband) qui détonne : l’ambiance est à son paroxysme.
Une petite pause au village gratuit s’impose, il faut contenir l’énergie communiqué par les prestations très réussites des artistes en ce début de festival. Les cuisines du monde entier sont là pour se requinquer. Ici, l’atmosphère et conviviale et familiale. Cette chaleur humaine et les lumières qui éclairent le château de Candé contrastent avec les nuages et l’humidité qui imprègne la nuit d’un froid pénétrant.
Enfin, on me signale l’arrivée imminente de Joey Starr sur scène. Un récital moins commercial qu’à l’accoutumé mais très classique et finalement assez mou définissent pertinemment la prestation de l’ex-chanteur de NTM. Si l’homme déclare sur scène vouloir se faire pardonner pour son retard, il ne semble pas au mieux de sa forme mais remplit honnêtement son contrat. Rien de virevoltant, bien en dessous de ce qu’il a pu faire trois semaines plus tôt au Free Music de Montendre (Charente Maritime) le jaguar Gorgone nous laisse un goût amer, avec la sensation qu’il ne s’est pas trop démené. J’essaye alors de me faufiler en backstage pour obtenir quelques mots de la star du hip-hop français. La mission sera difficile, sachant que Joey Starr refuse systématiquement toute interview lors de ses participations à des festivals. Par quelque ruse, je parviens à me présenter proche du bus où il loge. Je l’aperçois et à peine ai-je eu le temps de l’interroger sur sa performance mitigée qu’il m’envoie bouler non sans une certaine agressivité, et un de ses gardes du corps de me prier de vite déguerpir. Tant pis, j’aurais tout tenté !
Samedi 15 juillet
Le réveil est difficile pour les festivaliers qui souhaitaient quitter le château de Candé dès ce samedi. En effet, bien que les organisateurs se soient efforcés à éponger le parking emboué à l’aide de foin, les voitures s’enlisent de plus en plus dans la boue et quelques premiers dégâts de carrosserie font leur apparition. La pluie redouble. Mais étonnamment, les sourires ne s’effacent pas et la convivialité est toujours palpable dans tous les recoins du site.
Et puis la soirée s’annonce belle. Les britanniques Finley Quaye, King Charles et Charlie Winston devraient faire groover tout ça. Premier couac, la venue de Finley Quaye est annulée. C’est malheureux mais la belle Imany parvient à faire oublier cette déconvenue. Sa voix chaude et grave envoûte les spectateurs qui redoublent d’applaudissement. La pluie, toujours de la partie, est à présent inaudible. Charlie Winston fait alors son entrée. On assiste à un concert de pop classique, sans trop de folie. On aurait pu définitivement se refroidir si le King Charles n’avait pas décidé d’y mettre son grain de sel. Sa ressemblance avec Prince est frappante, troublante même, à tel point qu’elle ne peut être ignorée par l’intéressé. On retrouve la grâce des déplacements, le charme androgyne et la sensualité exacerbée du prince de Milwaukee chez sa majesté Charles. Sa pop est scintillante, un brin exotique et diablement entraînante.
C’est avec bien moins de délicatesse que le groupe de métal parisien Lofofora débarque avec ses gros souliers boueux hurler son métal déchainé aux micros de la Scène de l’étang. Les goûts et les couleurs ne se discutent pas. En ce qui me concerne, les organisateurs ne pouvaient pas trouver un meilleur couvre-feu !
Dimanche 16 juillet
« Gromanche, on fait rien, comme des gros manches ! ». La devise du Groland aurait pu me sied à merveille, tant le répit que nous offre la météo ce dimanche matin est propice au farniente. Mais le programme d’aujourd’hui donne irrésistiblement envie d’arpenter les dancefloors inondés du château de Candé. Dionysos, Didier Wampas, Earth, Wind and Fire et enfin Groudation. Il est 16h et l’incorrigible punk Didier Wampas, introuvable, sèche la conférence de presse. Sa performance scénique, quelques heures plus tard, vaudront bien toutes les interviews possibles. Totalement déchaîné, l’ex-employé de la RATP s’offre un bain de foule où il prend dans ses bras enfants, femmes et hommes pour danser et chanter, avant de remonter sur scène pour mieux s’élancer et produire un stage diving du feu de Dieu. La foule, déjà bien échauffé par les rayons de soleils de l’après-midi qui après les multiples averses de la veille n’était plus attendu, exulte. Mathieu Malzieu et son groupe Dionysos n’y ont pas été pour rien non plus, eux qui avant Didier Wampas, avaient, comme à l’heure habitude, fait le grand show, dans un premier temps en duo avec Carmen Maria Vega, puis seuls.
Puis, vers 22h, c’est au groupe afro-funk mythique des années 70, Earth, Wind and Fire de faire son numéro. Sa section cuivre est à couper le souffle et fait entrer la représentation musicale des américains dans une autre dimension. Les longs et généreux instrumentaux aux notes de saxo et trompettes s’envolent pour caracoler aux cieux, enfin accessibles depuis que les nuages ont disparus : mais l’arrivée du groupe n’y est-elle vraiment pour rien ? Les vocales de Philip Bailey sont ahurissantes et force l’auditoire, jusqu’ici bien agité, au silence attentif, sa voix cristalline et pleine d’âme venant flirté avec les aigus les plus fous.
Un peu abasourdi par la performance de haut niveau des Earth, Wind and Fire, on se dirige vers Groundation et son reggae roots instrumental qui a fait la réputation du groupe californien. Ce festival se finit en douceur, se dit-on alors. C’était sans compter sur Kanka avec et son dub bien consistant qui clôt le festival au Chapit’Ô. Les basses de plus en plus lourdes menacent de faire s’écrouler la toile. Mais chez Kanka puissance rime aussi avec précision, ainsi le son n’oublie jamais l’équilibre adéquat pour respecter une certaine musicalité. Les sourires font l’unanimité.
Les conditions déplorables n’auront pas empêché à cette 8ème édition du Festival Terres du Son de battre un nouveau record d’affluence. En effet, on estime la fréquentation à 28 500 festivaliers. Les pieds humides mais le cœur palpitant, ce petit festival qui monte nous aura ravi et c’est avec empressement que nous attendons sa 9ème édition, en donnant cette fois ci, rendez-vous au soleil.
By Anthony Biet