Il y a toujours eu plusieurs Dylan en un. Il faut dire qu’en 50 ans de carrière et a plus de 70 ans (fêtés l’an dernier), Robert Zimmerman aka Bob Dylan a su en tracer des chemins. Et puis, rien qu’à voir ses fameuses Chroniques (Tome I parut en 2005 chez Fayard), on comprend que sous couvert de simplicité, les choses sont plus compliquées que cela. Avec Dylan, on touche à un mythe, le mythe de l’Amérique profonde, mythe parfois organisé par Dylan « himself », puis via d’autres personnes et personnages. Et quand on touche à un mythe, il est vrai qu’en dépeindre les coulisses peut paraître compliqué et assez vain, car la mémoire reste quand la vérité éclate. Les fans de la première heure resteront fan, les nouveaux ne s’enfuiront pas, quand bien même ils assisteraient à des performances plus que douteuses sur scène, comme à Paris en 2011, où la prestation de Dylan était parfois hasardeuse, et où les avis étaient mitigés, notamment sur sa façon de chanter : est-ce calculé ? Cette posture est-elle naturelle ?
Ces histoires sont les histoires de sa vie, les expositions, les coffrets, ses albums, tout le montre et le démontre.
Bob Dylan est né sur les rives du Lac Supérieur, à Duluth dans le Minnesota, état du Middle West américain. Il vit néanmoins la majeure partie de son enfance à Hibbing plus à l’intérieur des terres. Il est le fils d’un vendeur d’électroménager, et il naît à la veille de l’entrée en guerre des US dans le conflit mondial et passe son enfance dans une période propice aux changements : la télévision entre dans les foyers américains dans les années 50. Enfant, le petit Zimmermann n’a pas de mauvaises notes, et il mènera même de belles études de musicologie. Son envie, c’est la musique : ses premiers chocs musicaux sont Little Richard, Elvis ou encore Hank Williams (dont il a récemment sortis les « carnets perdus » et c’est par ici pour en lire la critique: http://musicvibrations.wordpress.com/2011/11/11/hank-williams-et-ses-carnets-perdus/).
Mais bien entendu, LE choc de Bob Dylan, s’appellant alors comme cela car il lit Dylan Thomas et que ce nom fait plus « nom de scène », c’est Woody Guthrie, qu’il découvre grâce à la lecture de son autobiographie « Bound For Glory ». Cette lecture débouchera sur une lecture appronfondie de Ginsberg et Kerouac. Woody Guthrie, dans sa carrière, c’est après les premières tentatives réussies ou non de groupes musicaux, les premières renommées avec Bobby McVie notamment, les premières traces enregistrées avec son groupe The Jokers.
Woody Guthrie et New York, les deux éléments déclancheurs des débuts de Dylan dans la décennie des 60’s, avant de devenir la grande star que l’on connait. Ce qu’il découvre au travers de ces deux éléments, c’est le Folk. L’ « archéologie rurale ». Le Folk, c’est aussi accessible grâce aux rééditions du catalogue Folkways, c’est les sons de l’Amérique profonde, celle dont Dylan est issu, sans forcement être politisé au départ. C’est cette synthèse que réussit Guthrie et que Dylan reprend avec force, magnifiant celui qu’il considère comme son maître. Bien sur, il vit comme il peut, et ses amis sont Ramblin’ Jack Eliott, ou encore Pete Seeger et autres Richie Havens. Est-ce qu’on parlerait autant de Woody Guthrie si Dylan ne l’avait pas assisté jusqu’à la toute fin lors de sa lente agonie, et s’il n’avait pas écrit sa première chanson en hommage à ce « grand homme »: « Song To Woody » ? Probablement pas. C’est la un premier Dylan, le Dylan originel. Mais le Dylan est changeant, le Dylan évolue.
Après les galères du Village et du Gaslight, c’est le premier contact avec les studios, grâce à l’harmonica. Et le premier album. Simplement intitulé « Bob Dylan », au son plus que folk et plus que traditionnel. Et c’était il y a 50 ans. Puis, « The Freewheelin’Bob Dylan » avec les classiques engagés comme « Masters Of War », « A Hard Rain’s Gonna Fall » ou encore « Talking World War III Blues », sans oublier « Blowin’ In The Wind » ou « Girl From The North Country », sous l’influence constante de Suze Rotolo. Puis vient « The Times They’Are a Changin’ », puis « Another Side Of Bob Dylan », des albums plutôt folk, parfois engagés mais pas tout le temps, prouvant ainsi qu’il faut se garder d’avoir des idées préconçues et une image d’Epinal par rapport à Dylan. C’est aussi le temps de Newport et de Joan Baez. Newport, le début et la fin de l’amour des « folkeux » pour Dylan. Ou en tout cas, le premier cadre des conflits entre le monde du folk et le monde de Dylan.
Car Dylan est un caméléon. Un caméléon qui fonctionne de façon tryptique et qui sera dans ces années 60 dépassé par ce qui lui arrive ce qui ne l’empêche pas de toujours chercher plus loin. On rapporte tout à la maison, ou « Bringing It All Back Home », est la première pierre de ce genre qu’on attribuera, à tort ou à raison à Dylan: le folk-rock. La réalité est que ce mélange entre tradition folk, musique américaine populaire par excellence, et tradition rock aussi populaire mais seulement balbutiante à l’époque, est incarné par le premier morceau de l’album, « Subterranean Homesick Blues ». Puis vient « Mr Tambourine Man », repris de façon magistral par Roger McGuinn et David Crosby des Byrds en 1965 sur un album du même nom.
Grâce à la trilogie « Bringing-Highway61-BlondeOnBlonde », Dylan réussit avec Albert Grossman, son manager entre 1962 et 70, à figurer dans de nombreux styles sans s’ écarter d’un seul. Sa période plus électrifiée qu’électrique, plus intelligente qu’intellectuelle, est couplée avec la drogue, l’isolement, la coupure avec les musiciens, avec le public, LE public, son public, qui le révère comme à Newport en 1965. Ses albums sont des chefs d’œuvres, mais Dylan les a accouché sans réelle continuité. Si « Bringing It All Back Home » signifiait un retour à la maison, le « No Direction Home » signifie pour Dylan une impossibilité de revenir en arrière, sous entendu: sur le terrain du folk. Désormais il semble mature pour « Blonde On Blonde », en 1966.
Même si 1966 est un apogée pour un Dylan en avance sur son temps, ami des Beatles, il bouclant une énorme tournée qui l’aura probablement épuisé, ce sera aussi l’occasion d’un premier virage dans sa carrière. 1967 sera plus tranquille : après un accident de moto, il s’enferme dans sa propriété de Woodstock avec son enfant Jesse Byron Dylan tout juste né de l’année d’avant. Et il nous proposera une autre trilogie, un autre univers : celui de la country. Nashville, un autre Eldorado pour ce Dylan qui surprend et choque encore, comme lorsqu’il devient ami avec Johnny Cash, ce personnage haut en couleur et dont l’Amérique ne méconnait aucun des manquements à la bonne conduite (drogue, divorce, annulations de concerts à répétition…). Cash signera même un « poème » pour la pochette de l’album « Nashville Skyline ». Juste retour des choses, Dylan sera l’invité de Johnny Cash lors d’un show quelques semaines après la sortie de l’album.
Le début des années 70 se place dans un contexte particulier : Dylan fait partie de ces « stars » qui sont rejetés pour faire place à d’autres stars. Les albums « New Morning », « Self Portrait », ou « Planet Waves » sont assez troublants pour l’opinion qui doit s’habituer à une nouvelle voix, une voie feutrée dû à l’arrêt des drogues et autres cigarettes. Mais, cela n’empêche pas un élan de créativité ; Dylan écrit « Knockin’ On Heaven’s Door », ou encore « Forever Young ». Puis surtout Dylan nous offre un grand album en 1975, sonnant le grand revival que l’on attendait : « Blood On The Tracks » suivi par « Desire » en 1976 et de « Street Legal « en 1978. Trois albums d’anthologie, avec des chansons tout aussi géniales. Pour ceux qui commençaient à en douter: Dylan se montre à la hauteur de son mythe.
A l’entrée des années 80, Dylan entâme une « période chrétienne ». A l’occasion de sa conversion, il se met à écrire à propos de sa relation avec Dieu, sa voix change encore, l’orchestration de ses compositions aussi, plus de cuivres, des choeurs, bref de quoi désorienter les fans ce qui se ressentira sur les ventes d’albums lors de cette période qui s’arrête d’ailleurs en 1983. Il ne renouera d’ailleurs pas avec le succès jusque dans les années 90.
1992. Après la séparation des Travelling Wilburys, groupe dans lequel il jouait aux côté de Roy Orbison et Georges Harrison entre autres, Dylan veille aux besoins du mythe qu’il a su créer en sortant deux albums de reprises folk et blues revenant aux sources: « Good as I Been To You » et « World Gone Wrong ». Ce nouveau tournant se confirme par la suite. En effet en 97, Dylan sort de 7 ans d’improductivité personnelle avec « Time out of Mind« , album très introspectif mais aussi très réussi.
S’enchaineront ensuite de façon assez décousue comme toujours avec Dylan quelques albums qui entretiendront le mythe dont il devient alors promoteur et non plus acteur subissant la célébrité. Les années 90 ont donc marqué un tournant important.
Au delà de tout ceci, cette succession de périodes différentes les unes des autres, d’albums à thème sans vraiment l’être, d’engagements ou de récupérations politique faite de ses compositions, Dylan nous a offert des chansons probablement magiques et qui traversent les années sans prendre une ride. Il a su donner un nouveau visage à la musique, et c’est pour cela d’ailleurs qu’il recevra en 2008 le prix Pulitzer de la Musique.
Aujourd’hui, le mythe Dylan, certains artistes se l’approprient et jouent avec. Après le très bon film « I’m Not There » de Todd Haynes où 7 acteurs différents jouent Dylan ou sa projection lyrique, ou encore le documentaire de Martin Scorcese « No Direction Home« , c’est au tour de la compilation « Chimes Of Freedom » de sortir. Une compilation ou se réunissent des artistes aussi divers que Johnny Cash, Kesha, Miley Cyrus, Pete Seeger et beaucoup d’autres encore. Ce quadruple CD consacre toute la carrière de Dylan, ses 50 ans de carrière et ses 50 ans d’Amnesty International.
Est-ce que c’est tout cela que l’on retiendra de Bob Dylan malgré les chansons qu’il écorche régulièrement dans ses concerts ? Probablement. Dylan sonne pour beaucoup d’entre nous comme un artiste engagé. En réalité, Dylan est un génie et le restera certainement à jamais tellement son impact fût fort et reconnu.
« May you stay forever young »
By Mickael Chailloux
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