L’un des songwriters les plus sous estimé des années 90, balayées par le grunge, prend enfin la place qui lui revient dans la cour des grands: Greg Dulli et ses Afghan Whigs, ressuscités en 2012 à l’occasion d’une réformation et de la sortie, en 2014, de l’excellent Do to the Beast, débarque cette année avec un huitième album. In Spades confirme que le groupe a bien plus de potentiel que la plupart des groupes opérant un vulgaire come back. Toujours accompagné par John Curley, Dave Rosser, Jon Skibic, Patrick Keeler et Rick Nelson, le groupe reconquiert ses terres natales et en profite pour élargir sa base de fans, considérée jusqu’à maintenant comme underground (c’est à dire peu nombreuse mais avertie).
Poisseux mais sensuel
Entre une certaine brutalité et une sensualité indiscutable (oserais-je même parler de sexualité ?), la musique d’Afghan Whigs est poisseuse, elle colle au corps et peut vous faire danser comme hurler leurs textes de rage, ceinturé au siège de votre voiture. Et si jusqu’ici Greg Dulli s’était contenté de rassembler sur l’album précédent le savoir faire de ses comparses au sein de ses différentes formations (The Gutter Twins, The Twillight Singers), il passe sur In Spades à la vitesse supérieure. Notamment en brouillant un peu les cartes et proposant ce qui est à ce jour, certainement, son disque le plus ambitieux. ce dernier album possède sa propre cartographie mystique sur fond de rock très fortement teinté de soul et donc beaucoup moins incisif que les productions plus anciennes du groupe. Le tout porté par la voix de ténor, si reconnaissable de Greg Dulli qui, n’ayons pas peur des mots, a bien fait d’arrêter les clopes, le whisky et la poudre.
Surnaturel mais émotionnel
Des Métaphores parlant de divination, d’occultisme et de sorcellerie posent les thèmes récurrents d’In Spades. Mais ce que l’on remarque d’emblée, c’est que le deuil plane au dessus de ce disque tel un cercle de corbeaux attendant dans les cieux de pouvoir fondre au sol pour se repaître. Il faut dire que 2016 fût une année noire pour Dulli. Non pas artistiquement parlant, mais de façon plus personnelle: Il perd deux de ses idoles (Bowie et Prince dont il reprend un titre de chacun des deux artistes en y apportant, comme toujours, sa patte) et, à la sortie de l’été, Dave Rosser, compagnon de route depuis des années et grand ami, lui annonce qu’il est atteint d’un cancer inopérable. Dulli monte dès lors un projet caritatif afin de lever des fonds au travers de quelques concerts sur le sol américain, pour aider son ami à faire face, le système de sécurité social étant ce qu’il est aux Etats Unis. In Spades reflète ces bouleversements en présentant un Greg Dulli plus axé sur l’émotion spontanée, sans fard, notamment dans l’utilisation et le rendu de sa voix (I Got Lost, Into The Floor), montrant une vulnérabilité que le chanteur n’a pas peur d’afficher, ayant décidé de ne pas se priver de quelques pas de funambule sur la corde raide fixant la limite avec le décrochage vocal. Fragile équilibre…
Différent mais ancré
Contrairement aux précédentes productions du groupe (à part Black Love), les guitares ne sont plus forcément mises en avant sauf sur certains morceaux (Arabian Heights ou Copernicus par exemple), laissant ainsi s’installer des instruments moins utilisés jusqu’ici: claviers (Demon in Profile, Into the Floor, The Spell, I Got Lost), cuivres, ensemble de cordes (Oriole, The Spell)… L’album surprend, casse un peu le paradigme originel du groupe mais ne peine aucunement à retranscrire par ces propres voies la musique, la vision même, des Afghan Whigs et de leur leader. Et c’est cette vision qui donne son unité à In Spades. Depuis les premières mesures de Birdland, on sait où se dirige le disque sans pour autant être tout à fait prévisible. Durant les neufs morceaux suivants, il ne s’écarte aucunement de la route pressentie. En cela, il est un ensemble tout à fait homogène et cohérent.
37 minutes de plaisir, c’est un peu court mais c’est à peu près la durée moyenne d’un rapport sexuel avec préliminaires… mais la musique, calibrée et prenante suffit, finalement, à vous emporter. Et si In Spades reste très riche, on apprécie son immédiateté. Riche car une seule écoute ne saurait vous révéler toute l’étendue des petites choses disséminées ça et là au fil des morceaux et leur articulation. De toute façon, à la fin du disque, vous en redemanderez…
Greg Pinaud-Plazanet