Eels à l’Olympia! Daamn! Vous ne le savez peut-être pas mais la rédaction du Peuple du Rock a montré à maintes reprises son amour authentique pour ce groupe. Chacune de leurs manifestations résonne comme un événement. Il était naturellement impossible de rater Eels à l’Olympia. Goddamm right, it’s a beautiful day! Autant dire que l’on avait hâte. Nous tenons toutefois à vous avertir que l’auteur de cet article est un fan plutôt averti de Eels. Son avis ne sera en aucun cas objectif ou rationnel. Merci de votre compréhension et bonne lecture.
L’Olympia est une salle mythique de Paris. Chaque spectateur affiche un sourire naturel en voyant accroché en grosses lettres le nom de l’artiste qu’il va y voir. Une caractéristique si spécifique à cet endroit qu’elle donne toujours le sentiment au spectateur d’assister à un événement à part entière. Et, en même temps, l’histoire a fait de l’Olympia un monument, un lieu unique, noble, digne, ayant l’habitude de recevoir de grands noms de la musique. Les années ont visiblement permis à Mark Oliver Everett, chanteur et leader de Eels, de se hisser progressivement au sommet : plusieurs centaines de personnes avaient fait le déplacement pour voir les Californiens à Paris. L’Olympia faisait bel et bien salle comble ce lundi 09 juillet 2018. Eels est sans conteste devenu une valeur sûre pour tout mélomane qui se respecte.
19:27. Une douce voix féminine invite l’assemblée à prendre place ou du moins à focaliser son attention sur ce qui va suivre sous peu. Une guide m’indique ma place (on est comme ça oui). Je la suis sans broncher. Mais il est encore trop tôt. Alors j’attends. J’observe qu’il est de bon ton de laisser un pourboire à ces personnes qui entretiennent l’image soignée du music hall. Mes excuses pour ce manquement. Au prochain accompagnement, je ne manquerai pas de faire un petit geste.
19:31. Les lumières s’éteignent. Je me demande comment se portent les gens en bas, dans la fosse. Je les envie un peu. Ils sont bien plus proches des artistes. Puis, je réalise que profiter du spectacle depuis le balcon n’est peut-être pas si triste qu’il n’y paraît. Le public applaudit l’arrivée du groupe qui fait office de première partie. C’est à That 1 Guy que revenait la tâche de nous échauffer. Un nom on ne peut plus approprié tant le personnage arrive à surprendre le public chanson après chanson. Je n’avais aucune idée de l’identité musicale de cet artiste haut en couleur. Même après 30 minutes de live, je n’en ai toujours aucune idée… C’était remarquablement spécial. Ce mec est remarquable. Un chapeau noir vissé à la tête, That 1 Guy crache donc ce qu’il a dans le ventre. Ce qu’il en ressort: un registre musical inclassable, qui côtoie la techno expérimentale, le funk, avec une touche hard rock et quelque chose proche des musiques traditionnelles bouddhistes. C’est un ressenti. Vous en faîtes ce que vous voulez. Une chose est sûre : That 1 Guy dénote. Il dénote tout particulièrement grâce à son set-up tout aussi improbable que lui. On ne pouvait passer outre son instrument tout bonnement inqualifiable. Magic pype (je crois), c’est le nom qu’il a trouvé pour le nommer. En gros, c’est comme une harpe mais en forme de pipe allongée. Je dirais qu’elle est chromée. Un tambour se greffe à la base qui ressemble à un manche d’aspirateur. Un archet sert enfin à envoyer les mélodies vibrantes tandis que deux pédales se chargent de donner le rythme. Musicalement, c’est plutôt incongru. Tout est gras, pesant, lourd, saturé, strident. Sa voix épouse idéalement l’atmosphère âpre qu’alimente ses instruments. Non mécontent d’épater la foule en délire, le loufoque That 1 Guy se livre en plein show à un tour de magie, accordé au rythme des sonorités. Drôle, bizarre, doué, il n’en fallait pas plus à M.E pour le convaincre d’être en première partie de concert. Salut l’artiste !
20:02. Les lumières se rallument, l’occasion parfaite pour aller se rincer le gosier. Le hall se garni. Les fans papotent. Bientôt la douce voix de femme nous demande de reprendre nos places. Cette fois-ci, je n’oublie pas ma petite pièce pour la guide. Here we go, on y est. La foule applaudit avec insistance afin que la bande rejoigne la scène.
20:31. La troupe se pointe. Le maître salue la plèbe telle une rock star. Chacun prend place. Je constate très vite le même dispositif qu’au début, à savoir le combo batterie, guitare, basse, micro. Rien de bien exceptionnel pour un groupe de Rock. J’avais pourtant le pressentiment que la teinte feutré du dernier LP allait dégouliner ce soir. Il n’en sera rien. On assistera véritablement à un concert de Rock ce soir-là. E. (le chanteur) était en grande forme. Ses petits déhanchés l’attestaient. Il se dégageait chez lui un enthousiasme extraordinaire, terrassant pratiquement tout sur son passage. Entre les blagues potaches et les sempiternelles déclarations d’amour à la ville où se produit l’artiste, l’ambiance était optimale pour passer un bon moment dans la bonne humeur.
Everett débute sur les chapeaux de roue. Les sons des instruments se propagent sur chaque coin des murs. La voix est suffisamment audible. La technique a aussi l’air ok. R.A.S. Mon instinct me signale que tous les compteurs sont au vert. Et ils avaient juste puisque Eels nous gratifie d’emblée avec du lourd, notamment avec une très bonne reprise du titre Raspberry Bet de l’éternel Prince. Très bon choix pour planter le décor. Puis, les choses sérieuses commencent. Le groupe opte pour une stratégie visant l’efficacité. Les gars alternent régulièrement entre un rock brut, moite, vigoureux et un soft rock un peu plus mélancolique et aéré.
Cela se vérifie avec la chanson Bone Dry, tout à fait susceptible de figurer dans une BO d’un film de Tim Burton. C’est bien joué sans être démentiel, juste ce qu’il faut contrairement au titre suivant, Flyswatter, bien plus captivant dans son exécution.
Nos joyeux lurons décident après cela de calmer le jeu en distribuant plusieurs titres apaisés, à commencer par From Which I Came (extrait de l’album Blinking Lights and Other Revelations), Daisies of the Galaxy et Dirty Girl, tous empreints d’une douceur amère si chère à E. Son geste est beau, pur, fin. Ses camarades n’interviennent que très peu afin que le maître puisse exprimer sa grâce. À noter le silence quasi religieux que conserve le public. Magnifique. E. n’a définitivement plus rien à prouver.
Cela dit, le ton grave aurait pu finir par accabler tout le monde, mais le morceau suivant, Prizefighter, redonne ainsi un peu d’entrain à toute la salle.
C’est alors qu’arrive très vite Rusty Pipes, extrait de l’album The Deconstruction, sorti cette année. Bon sang que ce titre est bon. 4 minutes et 4 secondes de pur plaisir. Rusty Pipes illustre tout le sel de Eels : créer et polir jusque dans ces moindres recoins une musique à la fois triste et voluptueuse, délicate, profonde, forte. La saveur est encore plus prenante au palais si vous connaissez un peu le parcours chaotique du chanteur et le contenu des paroles. De fait, écouter cette merveille sans les habillages sonores qui l’accompagnent donne comme un sentiment d’inachevé. C’est sobre. Peut-être trop pour une telle chanson… Qu’à cela ne tienne, la technique des musiciens m’empêche d’être davantage tatillon. Poursuivons!
Si Rusty Pipes n’était pas présentée sous son meilleur portrait ce soir, You are the shining Light fait clairement mouche. Le style désinvolte du morceau fonctionne grandement, permettant aux musiciens de prendre un réel plaisir à jouer sans concession devant une masse de fans conquis.
En dépit de ce délicieux moment, le groupe reste vigilant en déroulant principalement ses classiques. C’est ainsi que déboule à la bonne heure l’excellent My Beloved Monster, concocté avec un peu de chill, une pincée de romantisme et 2 minutes et des brouettes de Rock indé pur jus. Du beau boulot. Vient ensuite le tour du titre I’m Going to Stop, qui pour le coup met fin aux festivités. Dans la même lignée que la chanson, le ton est grave et lourd. Le tempo quant à lui est péniblement lent. Rien à rajouter de plus. C’est parfait.
Climbing Up to the Moon et I Like the Way this is Going se chargent de prendre la suite. Neanmoins, c’est sous un angle un peu plus optimiste que l’opération se réalise. E., muni de sa gratte, récite seul ses poèmes. L’assemblée l’écoute. Plus rien d’autre n’existe : un splendide moment.
Mark Everett n’est pas un type chiant. Il aime aussi s’amuser, comme lorsqu’il joue Today is the day, extrait de son dernier LP et dont la simplicité et l’évidence n’ont d’égal que le talent de E. à composer de superbes oeuvres décennies après décennies.
Le meilleur moment de la soirée, c’est probablement lorsqu’arrive sur la table Novocaine for the Soul. Quel pied. Le groupe a su infuser une touche bluesy au morceau sans pour autant le dénaturer. C’est poisseux, cool, Rock’n’Roll. Un régal en bouche. On remet ça quand vous voulez les gars.
Eels garde le pied au plancher avec un Souljacker venu tout droit des enfers. On aurait adoré voir un cross-over entre le groupe et That 1 Guy qui n’a fait au final qu’une brève apparition sur la fin de la chanson. Bien entendu en faisant l’idiot. Sacré bonhomme. Déjà une grosse heure que le set a commencé mais personne ne semble résolu à ce que le feu cesse. Bien au contraire! La foule est en délire, gâtée par la venue du titre I Like Birds.
Hélas… toutes les bonnes choses ont une fin. Eels quitte la scène sous les applaudissements avant de revenir pour deux rappels. Au programme, une jolie reprise de When You Were Mine de Prince, un entraînant M.E’s Beautiful Blues, un sanguinolent Fresh Blood et un bref mais succulent Wonderful, Glorious concluant véritablement la prestation du groupe. Acclamés par la foule, c’est sous une standing ovation que les quatre musiciens nous abandonnent. Les rideaux se ferment. End of the story.
Que dire si ce n’est bravo. Eels nous a livré un concert impeccable, sans accroc. Le quatuor maitrise à la perfection son sujet. C’est net, pro, sans bavure. Claquer déraisonnablement cinquante balles pour voir Eels à l’Olympia était l’une des meilleures idées de ma vie. L’esprit bon enfant du groupe le rend touchant, à l’instar de ce moment où l’on a pu écouter une chanson spécialement composée pour le batteur, little Joe, afin de célébrer sa récente arrivée dans la formation. Outre l’aspect trivial des choses, soulignons la maestria des musiciens, en particulier celle du guitariste The Chet ! Quel doigté ! Quels solos ! Nickel gars.
Qui plus est, le groupe est très communicatif avec son public. E. parle, blague. Les gars ont vraiment l’air ravi de jouer et le font savoir. Les titres s’enchaînent diablement bien, à tel point que j’étais presque frustré, triste de ne pas en avoir eu plus. Triste de ne pas avoir vu plus d’instruments se mélanger avec la combinaison guitare-basse-batterie. Triste de ne pas avoir eu plus de titres issus du dernier LP. Triste de ne pas avoir écouté certaines chansons… Mais qu’importe. Malgré un répertoire pas forcément surprenant, et un au-revoir un peu sec, le fan qui vous parle gardera cette soirée comme un grand moment. Une soirée magique qui aura comblé et peut-être même fédéré fans de la première heure et jeunes pousses séduites par l’univers si singulier de Eels. Merci et à la prochaine.
Marcus Bielak