Cet Edito est un double hommage. En effet, si vendredi la musique perdait une grande figure, hier elle gagnait son combat contre l’absurdité.
Alors que je devais avoir dans les 14-15 ans, et que, dès qu’il me fallait fuir la maison je me réfugiais chez ma tante à cent bornes de là, je découvrais quelques disques dont Revolver des Beatles ou celui que j’ai récupéré depuis : Songs From A Room de Leonard Cohen. J’étais hypnotisé par ce son acoustique et surtout par cette voix grave. C’était l’époque où je traduisais systématiquement les chansons que j’écoutais et je découvrais alors un monde de poésie dans ses textes. Je me suis intéressé à sa vie, à ses muses, et à ses autres œuvres. Puis je m’en suis un peu éloigné à un moment donné, en découvrant la pop et le rock anglais, tout en lui ménageant quelques moments privilégiés, de temps à autres. Plus tard, j’y suis revenu de façon plus profonde car à la sortie d’un tribute de la part d’artistes que j’écoutais à ce moment-là : Lloyd Cole, Nick Cave, Bill Pritchard, House of Love… C’était I’m Your Fan, sorti en 1991, je me me suis rendu compte combien Cohen avait compté pour des artistes que j’écoutais.
J’adorais la back cover de Songs from a Room (1969), cette fille rieuse, assise devant la machine à écrire de Cohen, dans une chambre quelque part, invitait à une certaine forme de romantisme (la photo avait été prise lorsque Cohen vivait à Hydra, en Grèce). Cette fille, c’était bien-entendu Marianne Ihlen, récemment décédée en juillet. Cohen avait d’ailleurs écrit (ou dit) qu’il la rejoindrait bientôt et qu’elle devrait l’attendre là-haut, mais pas longtemps. L’artiste a semble-t-il, tenu promesse, peut-être est-ce pour ne pas la laisser seule… L’album a tout d’abord été enregistré par David Crosby, un ancien des Byrds, et, Crosby Still Nash, entre autres. Mais cela ne convenait pas à Cohen qui choisit ensuite un des producteurs habitué à travailler avec Dylan et Johnny Cash, pour un son plus brute, moins orchestré, plus centré sur les textes. Un de ses plus beaux album avec notamment une adaptation du Chant du partisan (Emmanuel d’Astier de la Vigerie, 1943), encore et toujours d’actualité aujourd’hui aux vues des conflits ayant cours dans le monde.
Sur le tribute I’m Your Fan, il y avait Hallelujah repris par John Cale, ancien du Velvet Underground. Oh bien-sûr, tout le monde connait bien mieux la version de Jeff Buckley, mais déjà celle de Cale m’avait déplacé les tripes, déjà. Certaines versions du tribute étaient presque meilleures que les originaux, sans vouloir offenser qui que ce soit, et faisait ressortir d’autres choses comme une singulière modernité apportée par les orchestrations choisies.
Voilà, Leonard Cohen s’en est allé vers d’autres contrées et la musique perd un poste de notre temps. Il y a quelques semaines, le prix nobel de littérature était décerné à Bob Dylan, mais il aurait très bien pu échoir à Cohen quand on y pense. La vie étant ce qu’elle est, les hasards du calendrier ont voulu que quelques jours plus tard, on célèbre la réouverture du Bataclan, haut lieu parisien de la musique où l’innocence avait payé le prix du sang face à une barbarie sans borne. Le journal, le Monde a consacré une très bonne rétrospective, axée sur les victimes et ce qu’ils étaient. Une façon de les célébrer, eux aussi. Emouvant. Oh bien-sûr, les victimes du 13 novembre 2015 ne sont pas les seules dont nous devrons nous souvenir. Il y a ceux de Nice, de Bruxelles, de Boston, de New York, de Syrie, de Palestine ou d’ailleurs, de partout où les conflits font des victimes innocentes. Mais aujourd’hui c’était vers ceux-ci, qui étaient sortis ici voir un concert des Eagles of the Death Metal, là, boire un verre en terrasse, là voir un match de foot, que nos pensées étaient tournées. Un symbole cette réouverture, une résistance contre la pression, contre la terreur. Au delà de la musique, notre liberté gagne. Toujours. Et je fredonne la chanson The Partisan…
Greg Pinaud-Plazanet