Ce soir, veille du coup d’envoi du festival annuel rock de Barcelone, le site du forum accueille sur l’une des scènes du Primavera Sound quelques concerts live gratuits. Bien-entendu, il faut s’y rendre tôt car les organisateurs attendent beaucoup de monde. Ils prévoient donc de fermer les portes lorsque la partie du site réservée aura reçu sa dose de public.
Jour 1
C’est ainsi que nous nous y rendons en tribu, vers 19h00, bravant la grève du metro. Oui, ici aussi cela arrive, il n’y a pas qu’en France. Ceci-dit, nous profitons tout de même d’un service minimum qui ne nous fait pas perdre de temps d’autant que les pass ont été attrapés au vol alors que nous entrions dans la ville, plus tôt dans l’après midi, et donc pas de temps perdu non plus à faire la queue pour récupérer notre sésame pour les trois jours suivants.
Ce soir, nous sommes sur l’esplanade pour assister au concert de SUEDE. Il y a vingt ans, je les voyais pour la dernière fois à Bordeaux. D’ailleurs dans notre bande, je ne suis pas le seul, et ce concert est l’occasion d’une session revival.
Le moins que l’on puisse dire c’est que du monde attendait impatiemment le groupe qui a lancé, d’après certains, la Britpop. Et si l’entrée des musiciens se fait sous les applaudissements, celle de Brett Anderson se fait sous les cris, et, le set démarre sur les chapeaux de roues avec Introducing The Band, morceau anthem du groupe. D’entrée de jeu, Anderson possède la scène en exploitant l’espace. Les morceaux s’enchaînent à toute allure avec, pelle-mêle, des morceaux phares comme Animal Nitrate, déchaînant au passage un public déjà chaud, The Drowners, Still Life, Beautiful Ones, Trash, Filmstar, So Young, Everything Will Flow ainsi qu’une version acoustique de She’s in Fashion. On trouve aussi, au milieu de ces morceaux principalement issus de leur premier et second albums, la face B Killing of a Flashboy qui fait son petit effet sur la foule venue voir le groupe. L’excellent single de leur dernier album, Outsiders est aussi de la partie. Le morceau est taillé pour le live et le public répond à l’appel là aussi. Je m’attendais du coup à entendre Like Kids, mais non. Pas ce soir, il faut dire que le groupe joue son dernier album à l’Auditori (salle fermée) demain. A la place, For The Strangers, issu de Bloodsport, pourtant moins percutant, nous est servie mais avec un rythme plus soutenu que sur l’album. Plus d’une heure vingt de concert mené tambours battant nous laisse un Brett Anderson, chemise déchirée, trempé, mais vraisemblablement heureux de leur performance et je ne saurais lui donner tort.
Jour 2
Ce soir, une belle affiche, puisque nous avons choisi de voir Car Seat Headrest, Daughter, Explosion in the Sky, Tame Impala et The Oh Sees, parce que merde, en live ça dépote grave!
Bonne ambiance sur le set de Car Seat Headrest, avec pas mal de monde devant la scène. Cela a d’ailleurs assez étonné le groupe. Un gros potentiel à mon avis pour la bande de Will Toledo. Le temps de traverser le site et j’assiste au concert de Daughter. Très bon live, Elena Tonra est hyper touchante et lors de Mother, c’est devenu prenant. La chauteuse, les yeux humides et perdus au loin, chante que parfois, elle souhaiterait être restée dans l’utérus de sa mère et ne jamais. sortir. A la voir gênée et émue par l’accueil du public, on comprends mieux les thèmes de leur dernier album.
Je n’étais donc pas sur le set de SUNNS mais on me dit que c’était un bon live, mieux que l’album, et bénéficiant d’un bon son. Parti en live après le second morceau, le groupe fait beaucoup de breaks, de morceaux arrétés en plein milieu pour partir sur tout à fait autre chose. Décousu à première vue mais assez scotchant tellement ça parait barré. Du moins ce sont mes « oreilles déportées » qui me l’ont dit.
Pendant ce temps-là, nous sommes quelques uns à regarder et écouter le set de Air. Honnêtement pas taillé pour un tel festival, ou alors pas à cette heure-ci, malgré un excellent son. Trois quart d’heure très mous, sans aucune communication avec le public, et leurs trois derniers morceaux ont explosé. Les seuls malheureusement qui fassent illusion ce soir. A les voir sur scène, on pourrait croire qu’ils s’emmerdent.
Sur la scène juste en face, c’est au tour d’Explosions in the Sky. Un régal pour les oreilles. Pas de paroles, juste la divine musique que ces artisans nous font partager. C’est fort, c’est énergique, en un mot, c’est puissant. Cela faisait un moment que je n’avais pas écouté, je crois que je vais m’y remettre. Un set dans la veine de ce que savent faire des Godspeed You! Black Emperor ou encore Silver Mont Zion, mais en mieux.
Plus tard, on écoute les Australiens de Tame Impala. Très bon son et excellent set mais je n’accroche toujours pas aux titres les plus récents. Heureusement, il y avait les autres… En plein milieu d’un refrain, le son saute et le public continue à scander le refrain du morceau. Après 10 bonnes minutes de recherche de cause(s), le live reprend exactement là où il s’était arrêté pour finir sur un second lancé de confettis.
LCD Soundsystem, set impeccable avec une excellente maitrise du son. On peut noter une très bonne synergie dans le groupe en dépit du fait que cela fasse longtemps qu’ils n’avaient pas joué ensemble. Aucune surprise particulière, le groupe a déroulé ses hits dans une ambiance lab live. Petit bémol tout de même, donc, pas de nouveaux morceaux pour l’occasion, toutefois ils ont assuré le fan service à fond.
On retraverse le forum dans la longueur pour assister à The Oh Sees, mais nous sommes déçus. Non pas par le groupe en lui-même, mais par le son. La voix ne ressort pas du tout et ce n’est pas la première fois que nous avons ce problème sur cette scène (et pas la dernière puisque sur Autobus, le lendemain, le son était pourave…). Et pour le coup cela me fout le set en l’air. Niveau musical, ce sont toujours des furieux et les deux batteurs sont hyper synchro. En revanche, je me demande toujours comment fait Dwyer pour sortir autant de sons de sa guitare, qu’il brandit la plupart du temps comme une kalaschnikov… En tout cas, c’est un mec super compliqué à prendre en photo tellement il saute partout…
Il est 3h00 du matin passé, il est temps de rentrer au bercail. La suite demain.
Jour 3
Je commence en solo dès l’ouverture par Alimente, groupe espagnol. Du bon rock pêchu, frôlant parfois le punk, avec retenue. Je reste 1/4 d’h car je n’arrive pas à accrocher plus que ça au mix. Ça manque un peu d’âme. Bon le fait que ce soit en espagnol et que je n’y comprenne pas un traître mot, ceci explique sûrement cela. Je m’en vais donc jeter un coup d’oeil du côté de White Fence. Musicalement pas mal du tout, plus élaboré que le précédent groupe et très surf rock vitaminé, quoiqu’ils puissent dérouter en passant du coq à l’âne parfois. Les grands écarts ne leur font pas vraiment peur. Cela me fait beaucoup penser à du Ty Segall, sauf que j’ai du mal à supporter la voix du chanteur, souvent fausse, pour donner un style, je pense, puisque sur quelques chansons, elle était presque bonne. Ne connaissant pas, il faudra que j’aille jeter une oreille sur leurs productions pour me faire un réel avis.
Un passage rapide sur le live de Ben Watt, accompagné pour l’occasion de Bernard Butler (premier guitariste de SUEDE avant la sortie de Dogmanstar). Si Butler fut un génie de la guitare très sous estimé en son temps, il faut bien dire que ses tribulations depuis Dogmanstar ne prêchent pas en sa faveur. Même son album en duo avec Brett Anderson, il y a quelques années, n’a pas fait rejaillir la magie. Le set est propre, mais n’ayant jamais particulièrement été fan de Ben Watt, ni d’aucun de ses projets (Everything But The Girl, et il est aussi DJ), on va dire que je viens tuer une petite demi-heure avant que les choses sérieuses ne commencent.
En effet, sur le site, dès l’ouverture, dès 16h, les plus rapides et aguerris (ceux qui avaient les bonnes informations quoi !) ont pu recevoir un ticket pour la hidden stage Heineken où joue Lush de 19.30 à 20.00h. Bien entendu, j’ai pu avoir un sésame et je suis maintenant dans la file d’attente pour rentrer dans la seule salle fermée du site si l’on ne compte pas l’auditorium avant l’entrée du Primavera. Lush, l’une des pierres angulaire du mouvement shoegaze des années 90, édité par le célébre label 4AD (Cocteau Twins, Pixies, Pale Saints…), s’est reformé en 2015 et vient de sortir un Ep après dix sept années de silence. Un retour très attendu et vu le nombre de Français dans ce parking souterrain, changé le temps de quelques concerts, en scène, je ne me sens pas seul. D’ailleurs, après un rapide sondage de Miki Berenyi, il y a peu d’Espagnols dans la salle. Elle en profite d’ailleurs pour nous demander notre avis sur la sortie ou non de l’U.E. Le groupe britanique joue des morceaux issus de Spooky, Split et Lovelife et réussit à emmener leur public. Depuis la réformation, c’est Justin Welch d’Elastica qui s’est collé derrière la batterie et il fait très bien son job. Concernant Miki, Emma Anderson et Phil King, comme l’a très justement dit Miki à un moment, à presque cinquante ans, ils envoient encore la sauce !
J’arrive, après une traversée complète du site, pour me placer devant la scène qui accueillera Radiohead dans… une heure et même la fin du set de Savages ne fait partir qu’une minorité de personnes. Cela va être dur de bien se placer… En tout cas, Savages a l’air d’avoir foutu une sacrée ambiance par ici…
En face c’est Beirut qui commence, je les suis sur écran géant mais le son porte mal, contre toute attente… D’autant que Beirut a sorti les cuivres et fait dans la douceur, et le feutré. Il est dommage qu’en même temps que la diffusion sur les écrans de la scène où nous sommes, les organisateurs n’aient pas pensé à balancer le son en même temps… Nous aurions pu faire d’une pierre, deux coups. De mon côté, la foule afflue en continu et bientôt nous ne ressemblons plus qu’à des sardines coincés dans leur boite. Heureusement, devant moi, se place une fille d’assez petite taille pour me permettre de voir Radiohead sur scène du début à la fin du set. D’autant qu’on ne peut compter sur les écrans géant pour avoir une vue d’ensemble.
Comme on pouvait s’y attendre, c’est un live maitrisé avec quelques morceaux du dernier album (Burn the Witch, Daydreaming…) et d’anciens titres comme Talk Host Show, Paranoïd Androïd, No Surprises, Weird Fishes, Pyramid Song, Lotus Flower ou encore There There et en dernier rappel : Creep, ce qui déchaîne, s’il le fallait encore, le public (Setlist consultable ici). Au total, le groupe nous sert vingt-deux titres de belle facture. Deux choses sont à noter. Radiohead a gagné en minimalisme, tout parait plus simple, déshabillé de fioritures pour se concentrer sur le principal. La seconde chose est que, vu le monde qui se trouve tout au fond, l’absence de retransmission du concert sur écran fait que beaucoup n’auront même pas vu le groupe sur scène… Cela n’empêche toutefois pas le public de chanter sans discontinuer sur tous les titres, en rallongeant même certains une fois que le groupe les avait terminés. Vraiment une excellente ambiance qui rattrape l’inconfort subit par la foule préssée comme un citron. On sort de là rincés mais heureux.
Juste à temps pour voir The Last Shadow Puppets jouer les crooners sur la scène d’en face, accompagné d’un ensemble de cordes. Un set propre et bien foutu. Le son est bon mais on reconnait parfois un peu trop l’influence d’Arctic Monkeys dans l’écriture. Mais qu’à cela ne tienne, on passe un bon moment, même si nous avons établi notre camp de base sur le côté de la scène, vautrés par terre. Un rappel sur le cover I want you (She’s so Heavy) des Beatles et un joli tête contre tête d’Alex Turner et Miles Kane. Le final est lui aussi emprunt d’une certaine complicité entre les deux compères… tout en cabotinage.
Il est maintenant temps de passer au dernier concert de la soirée. C’est Beach House qui ferme ce soir en ce qui nous concerne. Il me tardait de voir ce que Virginia Legrand et Alex Scally pouvaient nous offrir. Malheureusement, après trois morceaux, j’ai du mal à accrocher au live. La fatigue ? Le fait que je les préfère nettement sur album? Je ne sais pas. Toujours est-il que je décide de me réserver pour demain et être en forme pour Brian Wilson et PJ Harvey, je prends donc la direction de la sortie et, au-delà, de mon lit.
Jour 4
Dernier soir. On commence la dernière soirée avec Brian Wilson, ex Beach Boys. Son groupe rejoue le mythique Album Pet Sounds, sorti en 1966. Ils commencent donc tout naturellement avec Wouldn’t it Be Nice. Beaucoup d’émotion lorsque l’on connait l’histoire de ce bonhomme, notamment sur le très beau God Only Knows. Ceux qui ont vu l’excellent biopic lui étant consacré comprendront.
Contraste fort entre un corps et une voix qui ne se suivent pas toujours et des yeux pleins de vie qui ne demandent qu’à exprimer ce qui se passe à l’intérieur. Bon, quand je dis que sa voix ne suit pas toujours, soyons clairs, à 74 ans, il en donne un peu tout de même. Et puis le groupe se fait pour lui un excellent relais avec Al Jardin (également ex Beach Boys) et son fils. Après l’album, le groupe attaque les gros succès des Beach Boys comme Surf in USA ou California Girl et Surfer Girl, et même quelques covers dont l’excellent Monster Mash de Bobby Pickett. Le public est à fond en tout cas. Une bonne ambiance au Primavera ce soir. d’ailleurs, tel un signe de Dieu himself, la playlist nous tombera dans les mains, litéralement, pliée en forme d’avion…
Alors que nous restons sur place pour attendre PJ Harvey, Deerhunter démarre son set sur la scène d’en face. Contrairement au dernier album, les morceaux sont plus rock et ce n’est pas un mal. Bradford Cox a laissé tomber la robe pour l’occasion, et affiche une certaine sobriété en chemise et jeans. Seul son chapeau le rend repérable. Même le set est sobre : aucune extravagance comme la première fois où nous les avions vu ici-même il y a quelques années maintenant.
Il est maintenant temps d’accueillir Pj Harvey qui attaque par quelques morceaux phares de son dernier album puis fait un petit retour en arrière sur Let England Shake. Le public se déchaîne sur un titre d’un des premiers albums puis sur Down by the Water, et 50th Queenie. A l’issue elle prend le temps de faire le tour de la scène pour présenter tous les membres du groupe dont John Parrish, bien entendu. « I was born in the desert« … C’est Bring you my Love qui commence. La foule hurle. Grand final sur « wave in the water, God’s gonna trouble the water » issu de la chanson River Anacostia, tous les musiciens finissent par s’avancer vers les micros, sans leurs instruments, sauf une grosse caisse tout en se joignant à la voix de PJ Harvey. Final impérial.
Le concert de Sigur Ròs est juste en face, nous n’avons pas beaucoup à marcher. Excellente prestation des Islandais, profitant de cette mini tournée pour tester de nouvelles compositions qui devraient se retrouver sur leur prochain album live. De superbes jeux de lumières et un son impeccable. En dépit du fait que beaucoup de leurs morceaux soient assez planants, l’alchimie se fait avec le public, nombreux.
On finit le festival sur une énorme note de folie rock avec le très prolifique et très schizophrène Ty Segall. Un grand bain de foule pour cette jeune tête blonde dès le troisième morceau. Les guitares se déchaînent et les bras se lèvent en essayant de marquer les nombreux breaks de rythmique. Du pur son, de la pure énergie complètement déjantée. Un masque sur la tête durant plusieurs morceaux, fringués en combinaisons de prisonnier ou de travail (orange, bleue), les Muggers donnent tout ce soir… Enfin ce matin, il est tout de même 2h15… Et le revoilà en diving sur les bras tendus du public ; puis il laisse le micro à un quidam du public qui continue la chanson alors que Ty Segall est remonté sur scène, pendant dix bonnes minutes…
Ce type est arraché du casque ! Il redescend pour récupérer le micro… et le mec à qui il fait enfiler son masque en plastique. Segall prend sa place dans le public et le groupe jamme alors que l’inconnu danse sur scène. Je vous jure c’est juste énorme! Et il reste un bon quart d’heure de concert au sextet ! Le groupe termine et se retire. Depuis les coulissent, Ty Segall montre l’heure en s’excusant alors que le public réclame son retour sur scène. Finalement, le Californien fou arrive à négocier avec le régisseur un dernier morceau rapide qui commence pourtant doucement avant d’envoyer du lourd. De quoi contenter un public survolté.
Greg Pinaud-Plazanet