Edito de la semaine

L’edito du Lundi

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On ne pourra pas dire que l’année 2016 n’aura pas vu de grands artistes, qu’on les ait aimé ou non, disparaître. Ces derniers jours encore, la musique a été endeuillée par la disparition de Prince (voir notre article hommage ici), puis ce matin de Billy Paul, l’interprète, entre autres succès de Me and Mrs. Jones. Alors oui, bien-entendu, à 81 ans, c’est chose courante, mais tout de même… Je ne vais pas faire ici un Edito sur lui, sinon je vais finir par penser que nous ne rédigeons que des rubriques nécrologiques. Non, je vais vous parler d’un film de 2015 que je viens de voir, et qui m’a replongé dans la fin des années 90, avec un cynisme tout à fait à point, comme les Anglais savent le faire.

Kill Your Friends est un film policier qui s’ancre dans les années post Britpop et qui aligne une bande originale exceptionnelle. Les labels se sont jetés sur des groupes comme Blur, Oasis, Radiohead en tête, et ont recherché le groupe qui fera les années 2000. Pas simple car en général, dans la musique il faut un peu de temps pour qu’un cycle en remplace un autre et les labels ne croisent en majorité que des copycats, ces groupes qui s’évertuent à copier ceux qui marchent fort. C’est dans ce contexte qu’un jeune loup joué par Nicholas Hoult (le Nux de Mad Max Fury Road, et bientôt à l’affiche d’un très beau film qui s’annonce: Equals), cupide à souhait et ne reculant devant rien, pas même un meurtre ou deux, se met à la recherche de la perle rare qui sera le tube de demain.

Les seconds rôles ne sont pas en reste et alignent des personnages hauts en couleur, comme Darren (Craig Roberts) ou encore Rent (Ed Serein) et Trellick (Joseph Mawle) . Un défilé de personnages soit désabusés, soit ambitieux, mais toujours cyniques. Et si le film est un vrai petit bijou, à la manière d’un petit meurtre entre amis, sa bande originale est digne d’un Transpotting. Normal me direz-vous, la BO de Transpotting était de son temps et offrait tout ce qui pouvait s’écouter à l’époque de sa sortie, en 1996. Kill Your Friends balance ainsi du Blur, du Chemical Brothers (mais dont l’auteur est Noel Gallagher), du Prodigy et même du Echo & The Bunnymen, à côté de morceaux rap East Coast (Ol’Dirty Bastard, Gang Starr), ou plus Big Beat avec Sash! Et au détour des tirades bien piquantes, on croise aussi Menswear, fugacement pressentie comme la nouvelle pépite britpop mais n’ayant laissé finalement qu’une note en bas de page du gros livre de l’histoire de la musique anglaise, ou encore Paul Weller et Jarvis Cocker (Pulp). Bref vous l’aurez compris, Kill Your Friends est le portrait au vitriol d’une période riche musicalement parlant mais qui recherchait un second souffle, une illumination. Et si l’on y voit à un moment un ressué des Spice Girls, ce n’est pas pour rien.

Non, on se rend bien compte qu’à tout prendre on a essayé de nous fourguer des groupes montés de toute pièce, à l’aide de politiques marketing défiant l’entendement, pour combler un vide et décider à notre place de ce que nous écouterions ensuite. On sent bien, dans ce film, que l’on est au point de bascule de la fin d’une ère pop-rock humaine et de l’émergence d’une nouvelle ère de produits. Les maisons de disques en ayant marre de tomber sur les mêmes types de groupes de pop rock, se sont tournées vers le clubbing en créant le son de demain. Mais que reste-t-il aujourd’hui de ce défilé de Girls and Boys Bands ? Rien. Ou pas grand chose en tout cas. Le souvenir de leur existence, sans doute. Le souvenir, sûrement, de s’être éclaté en boite sur tel ou tel morceau. Mais durer, est une autre histoire, un autre parcours que celui qui ne consiste qu’à vous sortir tout fait d’un moule et de vous jeter en pâture jusqu’à l’anémie, à des foules qui vous jetteront, à leur tour, dès que la mode sera passée.

Oui, Kill Your Friends, au-delà du simple film dramatique et pop, fait réfléchir à cette mutation de l’industrie de la musique, qui s’est opérée autour des années 2000. Heureusement, la résistance s’est organisée, autour de valeurs sûres du rock et de la pop.  Mais tout n’a pas été négatif. Beaucoup de groupes actuels, alternatifs, ont puisé dans ces années-là pour ramener dans leur pop, dans leur rock, des touches de hip hop, d’électro… Et l’on croise ainsi, aujourd’hui, une musique qui a su s’enrichir et muter, elle aussi, et ainsi retrouver son chemin vers un public moins sensible à la mode, notamment grâce à internet, s’accrochant encore à des valeurs humaines et non à l’emplacement du produit dans le rayonnage. C’est ce que je vois aujourd’hui lorsque je regarde les programmations des salles, des festivals, les sorties de disques. Je me fais peut-être des idées, ou bien c’est sans doute un moyen de me rassurer, de ne pas me sentir seul.

Quoiqu’il en soit, même si ce n’est pas le film du siècle et si l’intrigue est somme toute assez basique, je ne peux que vous encourager à voir ce film car il est plus visuel que le livre de John Niven dont il est tiré et vous plongera dans ce que cette décennie avait de meilleur à offrir. Il est immoral, certes, un peu comme American Psycho d’ailleurs… mais il restera pour moi comme un petit bonbon acidulé que l’on pose sur le bout de la langue pour le laisser fondre tranquillement, en écoutant les trucs qui nous ont marqué dans notre discographie, juste par plaisir et par décalage, sans pour autant tomber dans la nostalgie du « c’était mieux avant », car il y a tellement de choix aujourd’hui finalement que tout peut avoir sa place.

Greg Pinaud-Plazanet

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