Bientôt 20 ans que Jeff Buckley nous a quitté et paradoxalement, il a toujours été présent depuis sa tragique baignade dans les eaux tumultueuses du Mississipi. En effet, rares sont les années où une réédition de matériel perdu, de live ou dvd ne soit mise sur le marché, souvent sous l’impulsion de sa mère, Mary Guilbert.
Petit retour en arrière:
Le premier de la liste est Sketches For My Sweetheart The Drunk, album posthume produit en partie par Tom Verlaine, sur lequel a travaillé Buckley jusqu’à sa mort. Ont suivi des lives, une réédition de Grace avec une flopée d’inédits ; idem pour le Live at Si-né, album avec les enregistrements réalisés en compagnie de Gary Lucas, etc. Le mythe Jeff Buckley est donc encore bel et bien présent et il est tant mieux qu’il ne tombe pas dans l’oubli. Auteur d’un seul réel album, Grace, Jeff Buckley reste une référence pour beaucoup et s’inscrit comme un musicien majeur du siècle dernier. Guitariste émérite et chanteur à la voix incroyable, il s’est s’imposé dès son premier album et presqu’avec un seul morceau, une reprise de Leonard Cohen : Hallelujah. Autre preuve de son aura, deux projets de biopic lui sont consacrés, même si aucun n’est encore sorti dans les salles : White Mistery Boy et Greetings From Tim Buckley.
Le 11 mars 2016 est donc sorti un nouvel album d’inédits sous l’impulsion, une nouvelle fois de sa mère. Ces nouvelles trouvailles sont issues des sessions pour Columbia de 1993 qui avaient servi de test sur les techniques d’enregistrement en vue de la réalisation de Grace.
Que devons-nous attendre de You and I ?
Et bien, pour les fans de Buckley, pas grand-chose. En effet, la plupart des titres a déjà été entendus sur des bootlegs ou sont déjà présents sur les multiples sorties précédentes. Il se compose en effet essentiellement de reprises et de deux inédits, si on considère que la démo de Grace puisse en être une. On y retrouve Buckley, sa voix et sa guitare. Rien de plus et c’est peut- être un des atouts de cet album. Vous l’aurez compris le reste de l’album se compose de reprises, domaine de prédilection du chanteur. Outre Hallelujah, déjà évoqué plus haut, Jeff Buckley avait le don de revisiter et transformer les morceaux pour leur donner un nouvel aspect, une nouvelle vie (Lilac Wine sur Grace). C’est surtout en concert où il laissait libre court à l’improvisation que cette magie opérait. On peut citer les covers de The way young lovers do de Van Morrison, Kanga Roo de Big Star, etc.
Sur You and I, on retrouve trois titres déjà présents sur Live At Si-Né : Just Like A Woman de Bob Dylan et Calling You issu de la B.O. du film Bagdad Café et Nightlife de Led Zeppelin. Si ce n’est la qualité du son peut-être un poil meilleur, l’interprétation est la même et tout aussi prenante, grâce notamment au chant et à la voix. Les autres reprises empruntent à différents répertoires. Allant de Everyday People, tube soul de 1968 de Sly and The Family Stone à Don’t let the sun catch you crying du groupe de Liverpool Gerry and The pacemakers, repris à la mode crooner; et Poor Boy long way from Home, un blues traditionnel américain, qui n’aurait pas fait tâche dans le répertoire des Culs Trempés dans O’Brother des Frères Coen.
Les deux dernières reprises sont deux morceaux des Smiths. Là non plus rien de bien nouveaux. A Boy with a Thorn in his side circule sur le net depuis des années et I Know It’s Over apparaissait sous la forme d’un mash-up avec Hallelujah sur le live White Mystery Boy.
Enfin deux titres composés par Buckley : une démo acoustique de Grace et Dream of you and I qui n’est en fait pas un morceau à proprement dit. Jeff Buckley commence un arpège, puis explique la genèse du morceau dont on n’entendra pratiquement rien. Autant dire qu’à part entrevoir la méthode avec laquelle il construisait et composait un morceau, aucun intérêt.
Alors, indispensable ?
Vous l’aurez compris rien de bien transcendant à attendre de cet album, si ce n’est le bonheur inégalable d’écouter Jeff Buckley qui avait le don de magnifier les morceaux qu’il reprenait. En tout cas, si nous n’avons pas découvert de nouvelles pépites, certains ont trouvé depuis des années une poule aux œufs d’or. Ou peut-être faut-il y voir le désir d’une mère à garder « en vie » son fils disparu. Quoiqu’il en soit Jeff Buckley avait son style et, si ce n’est Eaves l’an dernier, personne n’est venu pour combler le vide qu’il a laissé.
Sylvain Chamu