Il est à peu près aussi utile aujourd’hui d’essayer d’imposer le Rock’n’Roll à la Vox Populi que de faire avaler l’intégrale de Schopenhauer à, au hasard, Nabilla ou tiens pourquoi pas à la femme la plus influente du monde en cette année selon Times Magazine à savoir Beyonce Knowles… Aucune méchanceté là dedans, ni jugement à priori, simplement le constat que culturellement parlant le Rock’n’Roll n’est plus qu’ une ombre spectrale à la dérive… Et qu’ en gros le monde entier s’en tamponne le coquillard… Alors oser rameuter sur le devant de la scène un groupe aussi mythique que les Pixies, je ne vous raconte pas… Puis faut dire, d’un point de vue populaire les Pixies ce n’est rien d’autre que de l’anecdotique puisque pour le grand public la dernière véritable révolution rock’n’roll se nommait Nirvana…
Le fait est qu’ après dix ans passés à sillonner les routes du monde entier, les Pixies sont de retour sur disque, 23 ans après la sortie du controversé » Trompe le Monde ». Pour faire court, la critique est loin d’être tendre avec l’un des groupes les plus influents de ces 30 dernières années, si ce n’est le plus important… Kurt Cobain a dit un jour que son seul but en créant son groupe était de jouer comme les Pixies… Tom Yorke refusa de voir les Pixies ouvrir pour Radiohead lors du festival Coachella 2004 car de ses propres mots « les Pixies ouvrant pour nous c’est comme les Beatles qui ouvrirait pour nous, impossible!!!« … Bowie lui même déclarait sa flamme au groupe et en Janvier 1993 peu après la séparation du groupe s’exclamait dans la presse : » Quel gâchis! Je les voyais devenir immenses… »
Mais avant de vous faire la review d’Indie Cindy, un peu d’histoire pour les plus jeunes d’entre vous: Le groupe se forme en 1986 à Boston, Massachusetts, bien que l’histoire commence réellement en 1984 avec la rencontre de Joey Santiago et de Charles Michael Kitteridge Tompson IV ( qui se renommera par la suite Black Francis ) à l’Université. Ce sont deux fous de Musique. Santiago est fan de punk rock seventies et Charles plus des Beatles, Beach boys et de toute la Surf music californienne… C’est dans cet assemblage étrange et hétéroclite que se formera le fameux son Pixies, une sorte d’équilibre précaire entre les deux mondes… Les deux amis enregistrent quelques cassettes pour se faire plaisir puis après un échange universitaire difficile d’un an à Porto Rico, Charles convainc Joey d’abandonner ses études et de créer un groupe de rock. Ils composent puis font paraître une annonce au Boston Phoenix afin de recruter une bassiste sachant chanter dont les goûts musicaux feraient le grand écart entre Folk et Rock. Kim Deal sera la seule à répondre. C’est elle qui, après l’audition de sa sœur Kelley pour le poste de batteur, propose un ami de son mari de l’époque. Un certain David Lovering. Kelley avait pourtant séduit les trois autres mais elle refusait le poste. Les Pixies étaient nés et se produisait au Rathskeller de Boston pour la première fois en Septembre 1986.
La suite sera la signature chez AD puis le mini album Come On Pilgrim le 12 Octobre 1987. A partir de l’année d’après, les sorties se sont succédées rapidement à raison d’un album par an. Quatre albums aujourd’hui cultes: Surfer Rosa, Doolittle, Bossanova et enfin Trompe le monde. Et ceci en dépit des relations plus que houleuses entre Black Francis et sa némésis Kim Deal… Kim sera d’ailleurs plus ou moins mise au placard par l’ogre Black à partir de Bossanova. Black annonce la séparation du groupe le 13 Janvier 1993 au cours d’une émission radio sans même avoir prévenu les autres membres du groupe. Voilà pour l’histoire, enfin le survol de l’histoire car ma seule mission ici est d’encourager chacun d’entre vous à écouter tranquillement, ou pas, chacun des albums de ce groupe ô combien influent sur le rock des nineties puis, par ricochet sur celui d’ aujourd’hui…
Le son Pixies, car c’est bien de cela qu’ il s’agit au fond, est issu d’une alchimie toujours sur la corde, d’une équation impossible entre quatre membres absolument pas Rock and Roll au sens brut du terme. Un guitariste erratique, une bassiste qui jamais ne pourra vraiment s’exprimer, le batteur le plus fantomatique de l’histoire du Rock’n’Roll et l’ego le plus démesuré du monde. Black Francis est en effet mégalo, cynique, imprévisible et aime se faire passer pour le beauf américain ultime… Et pourtant la magie opérera comme jamais.
L’alternance entre dynamisme échevelé et mélodies originales, voilà quelle est la caractéristique principale du groupe. A cela viennent s’ajouter les textes surréalistes de Black, autour de l’inceste, de la sexualité, du romantisme, des ovnis et autres bizarreries… Le son Pixies n’est rien d’autre qu’ une succession d’oscillations hallucinées entre candeur et fureur, entre voix de fausset et cris presque écorchés, symbiose entre nappes planantes sur deux trois accords et mur de sons impétueux à vous réveiller un mort. Hypnotique, traumatique, incandescent… Je pourrais parler des heures autour de chaque chanson composant les quatre albums historiques, autour de l’inquiétante étrangeté dégagée par chaque titre, autour de l’onirisme par essence irrationnel qui se dégage de l’ensemble. Des heures et des heures… Seulement pas sûr que votre attention ne lâche pas à un moment donné. Et puis quel intérêt au fond de disséquer chaque album au risque d’en oublier l’essentiel: le ressenti… C’est bel et bien ce que j’essaie de faire ici, approcher les rives de l’inabordable… Dans un souffle… La seule chose qui compte reste la musique par delà tout le reste… Et les Pixies représentent un entre-deux-mondes insolite, planant et exotique parmi les plus vibrants de notre histoire moderne. Un raz de marée de sensations en clair obscur à la limite du supportable… Une étincelle improbable et hors du temps…
Quelques verres et une clope plus tard, il faut bien faire redescendre l’excitation par de petits breaks, il est temps de vous parler de leur première réformation en 2004… Beaucoup dans la presse parlent de groupe sans passion, occupé uniquement à cachetonner… Les tournées s’enchaînent durant presque dix ans puis à l’heure où Black se met en tête d’enregistrer de nouveaux titres, Kim Deal préfère quitter le navire, pour elle il n’y a plus rien à dire… Les Pixies ont déjà tout dit…
Pourtant après un an durant lesquels le groupe aura lâché à la face du monde trois Eps de quatre morceaux, un cinquième album des Pixies sort le 28 Avril 2014: Indie Cindy. Il rassemble en fait sur un album complet l’ensemble des douze morceaux issus de ces mêmes trois Eps. Je vous laisse ici une déclaration de Franck Black ( ou Black Francis, c’est un peu selon son propre bon vouloir) autour de la parution des Eps puis de l’album.
« F.B. : Oui, c’est un choix stratégique que nous avons prédéfini avant même d’entrer en studio, en 2012 au pays de Galles, car il correspond à l’évolution du marché. Depuis l’essor d’Internet, la durée de vie de tout projet se trouve singulièrement raccourcie. Tout monte très vite et disparaît aussi rapidement. Regardez comment les médias se déchaînent un jour sur un sujet d’actualité, avant de passer complètement à autre chose le lendemain. Or, comme nous tournons beaucoup, nous voulions que cela soit accompagné d’un fil conducteur discographique étalé dans le temps, deux ans en l’occurrence. Le format album garde à nos yeux une forte valeur affective. Mais il faut se souvenir que, au début du vinyle, il ne s’agissait déjà que de compilations de singles et je crois que c’est Frank Sinatra, en 1948, qui a le premier enregistré un album pensé comme tel, et non comme une addition de chansons disparates. En outre, le single est longtemps resté comme le format dominant du marché. Par la suite, on sait que les choses ont évolué, mais de nos jours la façon de consommer la musique, notamment chez les jeunes à travers les usages liés au numérique, tend à nouveau à désintégrer la notion même d’album. En ce sens, l’option retenue pour Indie Cindy nous a paru le compromis le mieux adapté. » (source: Libération, 22 Avril 2014)
Indie Cindy est l’album le plus calme du groupe, le plus mélancolique mais comment pourrait-il en être autrement vingt ans plus tard… C’est aussi l’album sur lequel les titres s’étirent le plus en longueur contrairement à leur habitude, pas un seul titre sous les trois minutes ici… Moins d’urgence, plus de maîtrise… Franck Black n’a jamais aussi bien chanté, l’incandescence est là ( l’ouverture What Goes Boom en extrait ici ou encore le furibard Blue Eyed Hexe ), mais c’est l’influence majeur des Beatles et de la Surf Music qui mène la danse ici.
Un écho océanique, des nappes de guitares ondulatoires et un art consommé de la mélodie, voilà la nouvelle livraison des Rois, presque une forme de testament… Des chansons comme Greens and Blues, Another Toe In The Ocean Snakes, Ring the Bell ou la fabuleuse Andro Queen surprendront par leur très forte identité mélodique et pop, ce que beaucoup n’accepteront certainement pas malheureusement… Il y a pourtant dans ce disque subtilement mélancolique quelque chose d’original et d’explosif, quelque chose de déroutant, peut-être tout simplement une âme, plus posé, plus réfléchie, plus consciente de ses forces et de ses faiblesses aussi certainement… De moins instinctif évidemment… Presque hors de temps, comme si les Pixies planaient, fantomatiques, au dessus du cadavre du Rock’n’Roll, prêts à lui offrir une dernière fois peut-être leur propre linceul de lumière…
Je n’ai plus grand chose à rajouter de plus si ce n’est de laisser leur son envahir votre quotidien ne serait-ce que pour quelques heures… Embarquez, vous ne le regretterez pas…
S…