Les tabloïds en avaient fait leurs choux-gras, les Américains de MGMT dégringolaient dans la folie, probablement enhardis par le succès international de Time to Pretends en 2008. Depuis, comme toute rock star qui se respecte, ils ingèrent tout un tas de substances à dessin d’interpréter les signes astraux et de ne ressentir aucune culpabilité au moment d’arracher moquettes et tapisseries des hôtels luxueux.
Cela a d’abord donné Congratulation en 2010, et en parlant des revêtements-sol sinistrés des établissements qui recevaient MGMT durant leur tournée, on peut dire que cela en avait excité plus d’un, autant que des bactéries au salon de la moquette… Le vieux débat sur « l’art abstrait » resurgissait pour nous secouer les grelots. C’était barré donc c’était bien, ce n’était plus de la pop aux rythmes entêtants mais de l’expérimental, et cela prouvait la créativité du duo, émancipé des objectifs commerciaux. Oui mais c’était chiant, disaient certain. Ces réfractaires, les pauvres, n’étaient pas au bout de leur peine. En 2013, MGMT va « un peu plus près des étoiles, au jardin des lumières et d’argent » chantonneraient Emile et Image fort à propos.
La débauche des New-Yorkais, ce goût pour l’instrumental psychédélique et la prolifération de gimmicks futuristes feront couler l’encre abondamment. Attendez-vous à une croissance folle d’analogies entre l’album et des Objets Volants Non Identifiés. Cet article n’y échappera pas non plus. Et pour cause, le 1er titre annonce la nostalgie de ce paradis perdu, ces Alien Days. Il y a, dans l’apparente légèreté, dans le désenchantement des voix et de la mélodie, quelque chose qui ressort du conte. Les foutraques batteries et le fourmillement de gadgets électroniques quant à eux, nous donnent un aperçu de la fabuleuse acoustique qui règne sur Mars. Et pour en finir avec ce qui suggère un ailleurs supra solaire, disons qu’Astro-Mancy est dans cette veine : une symphonie expérimentale et résolument moderne, bruyante, barbouillée de plusieurs couches d’effets sonores, mouchetée de synthés semblables à des klaxons surgissant de soucoupes volantes. Des grésillements, des gimmicks désarticulés dans tous les sens, c’est la guerre des étoiles sous prozac, car il faut le concéder, l’ambiance flirte souvent avec la plus sombre neurasthénie. Parfois jusqu’à la posture, comme avec Mystery Disease dont les vocales geignardes et maladives, n’émeuvent plus mais irritent. Parfois, avec plus d’efficacité dans I love you to death, l’angoisse nous atteint, suggérée par les flutes jouant toutes aussi fausses les unes que les autres (et à l’unisson !). MGMT nous transporte dans le cauchemar d’un prof de musique. Petit à petit, il se dégage une cohérence et cet amas de flutes hétéroclite est rattrapé par une basse, une batterie et un synthé qui, quant à eux, tombent enfin d’accord. Lentement, la tension se dilue et on finit par ressentir un soulagement. C’est progressif, éprouvant, expressionniste, somme toute indicible.
En dehors de son temps, cet album est un retour vers le futur, un brassage d’électronique minimaliste, expérimentale, et de pop des années 60, de psychédélisme des années 70. Comme dans Cool Song 2 un morceau progressif, les notes de pianos soudaines viennent nous suggérer la violence latente qui ne deviendra pour autant, jamais véritablement patente. A 2 minutes et 53 secondes les aigus de l’orgue soudainement rompues par ces tagada-soinsoin modernistes résument parfaitement l’œuvre : un délire opioïde qui vogue entre l’espace, la Californie inquiétante de Lynch et la Californie-cool des Beach Boy, un espace-temps mal délimité entre 1960 et 2060
Au milieu de tout ce désordre novateur, on est parfois rattrapé par une pop structurée. Introspection, la reprise de Faine Jade va en ce sens. La réussite de ce titre tient au synthé libre comme l’air, qui caracole dans une altitude éthérée qu’une basse tremblante ramène brutalement sur terre. Il en est de même avec Plenty of girls in the sea qui abandonne l’abstrait pendant 1 minute 20 de pop californienne classique, et ma foi, ma bonne dame, après tout cet assemblage de bout d’ficelle avant-gardiste, ça fait un peu d’bien ! Enfin à peine le temps de souffler et crac, ça redéconne. Mais on est contaminé, on a pris gout à déambuler dans cet ailleurs dédaléen. Ce savant sabotage est une constante dans l’album, il y a toujours cette montée en pression sous-jacente, ce que Daft Punk réalise dans Random Access Memories et particulièrement avec Contact. Cette linéarité particulière qui va croissant dans une distorsion autodestructrice, s’était entendue pour la première fois sur le remix de Franz Ferdinand, Take Me Out, du même duo français, il y a alors une paye. On peut y déceler quelques réminiscences d’un passé punk qui s’en prenait déjà à sa propre musique.
Et forcément, l’esprit qui se complaît dans ces techniques décadentes finit par ne plus croire en Dieu, à perdre la foi et, oh blasphème ! par rédiger son manifeste nihiliste. Ici, Your life is a lie débite des sentences désespérées sur vos vies minables et insipides, célébrées par des percussions militaires. Derrière, rode toujours ce mauvais chakra, ce grésillement électronique qui bouillonne dans nos tempes.
Mais que vous ayez des vies pourries, ce n’est pas grave, cela pourrait même être une joyeuse tristesse, A Good Sadness, n’est-ce pas. Dans ce morceau, on dénote un talent particulier chez ces Américains : la conclusion. C’est souvent dans l’ultime minute que le bordel devient logique, et l’opération est traitée avec une telle subtilité et un tel naturel qu’on ne peut que reconnaître le talent.
Une fois n’est pas coutume, avec cette galette, MGMT va provoquer des réactions épidermiques et perdre un peu plus ses fans du temps d’Oracular Spectacular. Ces derniers auraient raison de contester l’approche parfois plus superficielle que conceptuelle de certaines compositions. Mais il y a pourtant fort à parier que le duo a posé là, une pierre à l’édifice de la nouvelle pop-music, initié depuis quelques années par des Jai Paul, Little Dragon, Nikki and the Dove, Gorillaz parmi d’autres.
By Anthony Biet