Suite logique pour LeSpark, après avoir arpenté de nombreuses scènes de la capitale, après avoir traversé la Manche pour jouer dans quelques pubs de Londres et de Glasgow, après avoir fait plusieurs premières parties avec Pete Doherty, après avoir interprété leur titre » Mariette« , extrait de leur 1er album en français (en préparation) dans l’émission Taratata (Avril 2012) et après avoir bossé avec P.Eudeline, voila que le jeune groupe parisien sort un album en anglais que l’on peut trouver dans tout les bacs français. En même temps, cela me parait logique. C’est vrai, lorsqu’on écoute ce qui se nommait auparavant The Spark Shyver, on a l’impression d’être emporté dans un bon vieux blues du temps de Bo Diddley, un bon vieux rock des sixties. La voix blues de Thomas, très affranchi à l’énergie rock, les riffs de guitare de Victor avec des solos très planant faut dire, aident beaucoup. Oui, j’estime donc que cette suite est vraiment logique. Surtout lorsque l’on voit leurs prestations scéniques ou la scène est mise à feu et à sang. Une fois qu’ils sont sur le “stage”, ils en sont les maîtres, le public n’a pas le temps de s’ennuyer grâce à la vivacité du chanteur, l’effervescence qui règne dans le comportement même du guitariste. Définitivement LeSpark est un groupe à part aujourd’hui.
PdR : The Spark Shyver, maintenant LeSpark. Pourquoi avoir changé ?
« Cela correspondait à notre passage de l’écriture en langue anglaise à celle en français. »
Lors d’une interview pour « La Trempe » vous avez dit vouloir chanter en français. Or, dans votre album, vos chansons sont en anglais. Pour quelles raisons ?
« Nous avons toujours écrit en anglais car nos influences musicales étaient anglaises. C’est comme ça que nous avons démarré et c’est la raison pour laquelle nous avons fait cet album dans la langue de Shakespeare (NB: album actuellement disponible dans tout les bacs de France et de Navarre). Puis, avec le temps, les envies changent et nos influences se sont peu à peu transformées pour donner quelque chose de plus spécifique et vraiment à nous. La langue anglaise avait atteint son épuisement, le français s’est donc imposé comme la langue évidente pour raconter plus précisément ce qu’on voulait avec des termes bien à nous. La langue de Molière nous offrait la possibilité d’établir un rapport plus direct avec le public par la langue. L’anglais, c’est très différent, c’est la brutalité et l’énergie qui priment. En français, il y a une certaine magie qui opère, plus par le biais des mots que par la sensation divulguée. C’est pour ça que ce sont deux approches de la musique bien différentes. On s’est dit que pour le prochain disque, ça serait bien de se concentrer sur notre langue natale. Mais, on continue toujours à chanter en anglais et en français sur scène. »
Pour vous le rock ne peut pas être chanté dans la langue de Molière ?
« Au contraire! Mais comme j’expliquais lors de la réponse précédente, ce sont deux rapports complètement différents à la musique, surtout pour la scène. Quand tu es face à un public, il y a toute une dimension démonstrative et spectaculaire dans le Rock que la langue anglaise te permet d’atteindre très facilement. Avec le français, ça n’a rien à voir, les sonorités ne sont pas les mêmes, tu ne peux pas faire sonner les mots pareils. En anglais, c’est instinctif, pulsionnel, non maîtrisé, la fougue à l’état pur, l’euphorie, l’extase, un état quasi de transe. En français, c’est plus contrôlé et puis, il y a le texte. En fait, l’émotion passe plus par les mots et leur sens, par ce que tu racontes, que par la manière dont ils sonnent. C’est ça la grande différence entre le Rock en français et en anglais. »
Quelles sont vos influences ?
« Nos influences s’étendent du blues noir américain et du Rock’n Roll ( Muddy Waters, John Lee Hooker, Chuck Berry, Bo Diddley…) au British Beat Boom ( The Rolling Stones, The Animals, The Kinks, The Small Faces, The Who…) en passant par le psychédélisme fin sixties ( The Grateful Dead, Jefferson Airplane, Quicksilver Messenger Service…), la chanson française ( Michel Polnareff, Francoise Hardy, Christophe…) mais aussi par des groupes plus actuels comme les Dead Weather ou Tame Impala ou les Black Keys. »
LeSpark a-t-il des émotions bien précises à faire ressentir à ses auditeurs ?
« Nous avons un rapport particulier au rêve et à l’incertitude existant entre le rêve et la réalité, que l’on retrouve dans les thèmes et les atmosphères de nos chansons. La musique se rapproche d’un rêve à moitié éveillé. La musique, c’est le meilleur moyen de rêver tout en restant sur terre. C’est ça qu’on essaie de transcrire. »
Vous souvenez-vous de votre première répétition ?
Thomas : « Oui, très bien. On était déjà formé avec le batteur et le bassiste d’origine avec qui on jouait à l’époque et on cherchait un autre guitariste. On jouait avec un pianiste qui est resté quelques temps dans le groupe. Il m’avait dit » je te ramène un guitariste pour essayer ». Victor a débarqué avec sa gueule de minet et son look, et je me suis dit dans ma tête: » à mon avis, il ne va pas faire l’affaire ». On a commencé à jammer sur un blues de Jimi Hendrix, » Red House » et là, je me suis dit « Oh putain! C’est lui qu’il nous faut, c’est un génie! »
Antoine (le batteur) : « C’était en novembre 2010. Je suis arrivé à Basement, rue de rochechouart et il n’y avait que Victor dans le studio. Je me souviens avoir halluciné deux secondes, jamais j’aurai imaginer faire une répet avec lui dans ma vie (nous étions dans le même collège mais on ne s’aimait pas beaucoup. Notre année d’écart semblait énorme à l’époque..) et encore moins en tant que batteur! J’avais touché un peu à une batterie avec un pote pour me marrer mais jamais pour une répète sérieuse avec un groupe déjà formé. Ils ont bien vu que je n’étais pas batteur mais bon, le courant est bien passé avec Thomas que je n’avais jamais vu avant cette répète, Richard et moi étions devenus potes très vite quelques semaines plus tôt via Victor donc… ils m’ont laissé progresser à mon rythme. »
Imaginiez-vous en arriver là ?
« Quand on démarre, c’est pour s’amuser et vivre sa passion à fond. Puis avec le temps, tu vois que les gens commencent à s’intéresser à toi et là, tu te dis « Peut être que je pourrais en faire un truc! ». Mais, l’important, c’est de garder les pieds sur terre et surtout de maintenir la passion originelle, le truc qui te fait encore vibrer comme à la première heure. »
Comment c’est passé votre collaboration avec P. Eudeline ?
« Avec Patrick, nous avons développé une relation fusionnelle et amicale intense. Il s’est énormément investi dans le projet et a donné de sa personne pour nous. Au cours de l’été, j’ai enregistré quelques maquettes de nos premiers titres en français avec lui. C’était une découverte pour moi de voir comment on pouvait orchestrer toute une chanson avec des violons, des orgues, des accordéons et j’en passe, seulement grâce à un ordinateur. Cela restera un des moments forts de notre collaboration. »
Avez-vous joué uniquement à Paris ?
« Non, nous avons fait une mini tournée à Londres et à Glasgow aussi, en Ecosse. Tout cela était incroyable ! Richard, l’ancien bassiste se trimbalait un ampli basse Ampeg de deux tonnes dans les trains et les métros, c’était l’enfer absolu ! Mais on a beaucoup rigolé. Le concert à Glasgow était particulièrement génial, les gens étaient super réceptifs à notre musique et l’accueil humain était sans doute l’un des plus chaleureux que nous ayons jamais reçus. A Londres aussi, c’était bien, mais l’avantage d’une ville comme Glasgow, c’est que tout le monde est réuni au même endroit, au même moment, tu n’as pas à chercher longtemps, s’il y a une soirée, tu es sûr d’y retrouver tout le monde. Et puis à Glasgow, il y a la Guinness aussi !
On a aussi été faire la première partie de Peter Doherty à Rouen au 106, un périple extraordinaire ! Doherty avait appelé Victor la veille pour lui proposer de jouer. On est parti le lendemain au pied levé et on est arrivé là-bas sans aucune idée de ce qui allait se passer. On était en première partie, ça c’était sûr… Mais Doherty est arrivé au dernier moment avec un trac et une frousse inimaginable…Il s’est enfermé dans sa bagnole avec Victor pendant une heure et ils ont discuté, lui s’est mis à pleurer comme un gamin de 10 ans qui avait peur de monter sur scène. Quand tu sais que c’est Doherty, ça paraît étrange quand même ! Tout le staff de la salle et de l’équipe était en panique et l’impatience du public commençait à se faire ressentir. Un moment, il a repris du poil de la bête et il s’est proposé de monter sur scène avec nous. Ça allait être l’impro totale, comme à chaque fois. Il a jeté un regard sur le public à travers le rideau et il s’est ravisé. Du coup, le public a été super sympa avec nous et nous a remercié d’avoir joué mais bon, ils étaient tout de même déçus de pas avoir vu celui qu’ils étaient venus voir. Après le concert, on avait donné rendez-vous à quelques fans en bas de l’hôtel dans lequel on dormait (qui était aussi celui de Peter) et on a fait la fête toute la nuit dans Rouen. Le matin au réveil, c’était moins drôle quand les propriétaires nous ont dit que parmi tous les artistes qu’ils avaient reçu, ils n’avaient jamais eu autant de bordel. Après tout, ce n’était peut-être pas notre faute mais celle des fans de Doherty. Et puis, ça n’aide pas quand le photographe se tape la femme du patron dans son propre hôtel…
Enfin, cet été, nous avons fait la première partie de Mick Taylor (ex guitariste des Rolling Stones qui joua avec eux suite à la mort de Brian Jones entre 1969 et 1974) pour les 50 ans des Rolling Stones. On s’est super bien entendus avec lui et à la fin du concert, il est venu nous voir pour nous dire qu’il avait beaucoup aimé notre concert et particulièrement la dernière chanson. Pas étonnant quand on sait que c’est une chanson qu’il a lui-même joué avec les Stones en 1972 et enregistré sur l’album « Exile on main street », un vieux blues composé par Slim Harpo : « Shake your Hips ». Quand Victor lui a dit qu’il connaissait ses solos par coeur, il nous a répondu que c’était lui maintenant qui avait du mal à s’en souvenir… Comble de la transmission à la jeunesse et gouffres de la vieillesse en somme. Mais bon, cela reste quand même un très grand guitariste et une de nos rencontres les plus frappantes. »
Gardez vous des contacts avec les groupes avec lesquels vous avez joué ?
« Bien sûr, il y en a beaucoup avec lesquels on a eu des affinités humaines et musicales et c’est généralement ceux-là qu’on revoit naturellement. »
Vous avez eu des relations privilégiées avec Doherty en faisant des concerts avec lui au Tigre. Avez-vous de bons souvenirs de ces moments, des anecdotes ?
Thomas : « Ouhla, pléthore d’anecdotes avec Doherty… Un jour où il faisait un concert au Silencio suite à l’avant-première du film dans lequel il jouait, « Confessions d’un enfant du siècle », il m’a appelé et m’a invité à la projection de son film. En plein milieu de la projection, il s’est levé et je l’ai retrouvé au bar du cinéma. Il m’a proposé de l’accompagner à la guitare le soir-même au Silencio. Je ne connaissais pas un seul des morceaux qu’il allait jouer mais comment refuser… On s’est retrouvé une heure plus tard dans les backstages et il m’a montré les morceaux qu’il voulait qu’on joue ensemble : « The Last of the English Roses », un blues, comme il savait que j’adorais ça… D’ailleurs, il m’appelle « The French Blues Guy »… Dans les backstages, il y avait sa maman (une grosse anglaise toute clinquante et tout vêtu de rouge flashy) et sa cousine aussi, c’était à la fois touchant et totalement incongru de les voir tous réunis. Puis, on est monté tous les deux sur scène et je me suis retrouvé finalement à faire quasi la moitié du concert avec lui. Un moment, il y a même un rappeur qui est monté nous rejoindre sur scène et on a fait une chanson avec lui. Qui l’eut cru ? J’aurai jamais imaginé accompagner un rappeur et Doherty sur scène un jour. C’est ça qui est génial avec lui, c’est que tout est improvisé, non calculé et purement instinctif. C’est un professionnel mais pourtant, il partage des moments musicaux comme à la première heure. »
Victor : « J’ai rencontré Peter au Pick-Clops dans le marais, il habitait l’immeuble derrière le mien à l’époque. Il était onze heure du mat’ et il mélangeait déjà la bière et le cognac. On a longtemps discuté, il nous à directement prit sous son aile. S’en est suivi un concert au Tigre le week-end d’après puis tout cela a duré un an. On a fait pas mal de ses premières parties et on s’est beaucoup vus, chez lui comme dans les bars. Des anecdotes il y en a beaucoup. Sa vie est une biographie vivante à la François Bon. C’est la dernière en date qui me vient à l’esprit. Je l’ai rejoint au wagon Bleu à Rome il a deux semaines de ça. A la base il m’avait convié pour faire un billard, mais on a commencé l’aprèm au rhum, on était seuls dans le resto et on écoutait de la musique à fond. On à baptisé ma nouvelle guitare « Bruce » puis on s’en est allé faire un billard à Oberkampf. En y allant on s’est arrêté chez un antiquaire où il voulait tout acheter. Après prise de conscience, il est juste parti avec une paire de Prada horribles. En sortant il a prit mon chapeau pour l’essayer avec les lunettes. Il m’a demandé ou je l’avais acheté et qu’il lui allait très bien. Je lui dit de regarder à l’intérieur, c’était l’objet phare de sa collection Kooples signé de son nom. On a rit, puis l’aprèm s’est déroulé, il m’a battu au billard. Et je suis rentré rincé comme jamais. J’avais l’impression qu’il était 5h du mat’, mais non. Il était 19h. Chapeau bas à celui qui tiendra son rythme pendant 48h. Mais c’est vrai que ça fait parti du folklore, il est extrêmement généreux et n’hésite pas à faire profiter les gens qu’il côtoie. Un joyeux luron le Peter. »
Quels sont vos prochains objectifs?
« Les prochains objectifs, c’est l’enregistrement de notre album en français dans un premier temps puis de tourner le maximum en France et à l’étranger. »
Pour finir que pensez-vous de la phrase de Lennon : « Le rock français, c’est comme le vin anglais » ?
« Il n’avait pas tort, le rock n’est pas véritablement fait pour être français. Il y avait peu d’exemples, surtout à l’époque… En réalité, les français sont faits pour la chanson, c’est leur savoir-faire et là il y a des exemples : que cela aille de la chanson rive gauche (Barbara, Brel, Ferré etc…) au yéyé (Jacques Dutronc, France Gall, Nino Ferrer, Ronnie Bird, Christophe, Polnareff, Francoise Hardy, Zouzou) en passant par Gainsbourg, il y a de quoi faire…Et puis, il y a les moins connus mais non moins talentueux comme Eric Saint Laurent ou Etienne Roblot, qui a aussi chanté de très belles chansons en 1968 dont « Fernand » ou « Julie Bonbon » composé par Eric Charden. Le rock n’est pas une affaire française, certes. Mais, la frontière entre la chanson et le rock est palpable, aussi mince qu’elle soit. Téléphone, Noir Désir sont probablement les seuls et uniques exemples de groupes de rock français à un niveau important. Mais bon, c’est encourageant, cela veut dire que la porte est encore ouverte et qu’il a matière à travailler pour opérer cette jonction difficile mais intéressante entre le rock et la langue française. Ou alors peut-être qu’ils n’ont pas vraiment vocation à se rencontrer comme disait Lennon, qui sait… »
By Yohann Dufour