Concerts

Live report : Sallie Ford lâche la bête au Trianon

« Encore un bon cru Portland ». C’était ma première pensée en écoutant Dirty Radio (premier album de Sallie Ford & The Sound Outside, sorti en 2011). Véritable Mésopotamie de la musique underground américaine, la ville  est devenue une ruche grouillante d’abeilles, débordant d’énergie artistique inédite et communicative, délogeant à la pelle de la musique et artistes de haut-vol, et offrant des prestations live d’une cadence à couper le souffle jusqu’à l’asphyxie. Il y a six mois encore, la clique était à l’honneur pour le festival Keep Portland Weird avec, pendant une semaine, une succession de bêtes de scène : Yacht et sa chanteuse androgyne s’enroulant à coups de câbles de micro dans une pop électro à vous plonger dans une euphorie viscérale ; The Thermals et son college-rock crunchy, sale et coloré… La Gaîté Lyrique s’en souvient encore, les marques de drap encore imprimées sur la joue. Bref. Je remercie l’existence du vol long-courrier, qui nous permet de profiter de cette source musicale intarissable.

Le choix d’investir le Trianon s’est vite légitimé. Pour accueillir Sallie Ford et Mustang, il fallait bien un lieu au charme d’un autre temps, et la salle est parfaite pour porter les influences de ces deux groupes, imprégnés d’un paquet de manies, d’instruments, de timbres et de détails plus délicieusement désuets les uns que les autres.

Sallie Ford au Trianon © Bertrand Dussart

Les Clermontois de Mustang ouvrent le bal. « Pas très américain, ce gentilé », me diriez-vous. C’est sans compter sur Jean Felzine, sa banane Eddy Mitchell, sa cravate rouge  et son costard gris labellisé Retour vers le Futur I. En bons crooners, le groupe dégaine des tempos rock ‘n’ roll purement 50’s, qui épousent la voix charismatique et grave du frontman, une voix habitée par un King pris de spasmes intempestifs. Cette impatience se frotte et se saccade au rythme des guitares, tirant  sur des influences surf rock des années 70. L’écriture en français tient davantage de l’anecdote que du littéraire et, par-ci par-là, on entend une boîte à rythme kitsch, prêtant à l’ensemble un cachet humoristique. Mention spéciale pour les ad-lib : Le Pantalon (à crier des noms de vêtements masculins une vingtaine de fois de suite, on en oublie le pitch principal) ou encore Anne-Sophie pour ses gémissements érotiques. En somme, un set aux notes décalées, frénétique et dansant, parfait pour s’échauffer avant ce qui suit…

Une bière plus tard, Sallie Ford débarque sans prévenir, accompagnée de son Sound Outside band, prêts pour le set. Effrontée jusqu’aux dents, insolente derrière sa guitare pistache, Sallie en impose. Je commence à me demander ce qui se cache derrière cette attitude passivement provocatrice et me prépare à me faire tirer les nattes. La formation est pure tradition rockabilly : Guitariste (Jeff Munger), batteur (Ford Tennis), contrebassiste (Tyler Tornfelt). Le son aussi : je retrouve d’emblée ces rythmes qui démangent, estampillés west side blues 60’s qui caractérisent si bien Dirty Radio. Un retour immédiat vers les Ol’good days, porté par une voix téméraire, d’une force insoupçonnée, jouant avec les modulations jusqu’à atteindre des aigus rugueux à l’extrême.

Public réceptif et enchanté, entraîné par le rythme effréné de This Crew. Je suis bluffée : il faut vraiment voir le live pour se rendre compte de l’énergie incroyable qui se dégage de la bande, et surtout de cette voix qui n’en démord jamais (make me want more, dirait la fille de Portland), acharnée jusqu’au bout ; absolument rien à voir avec ce côté laid-back charmant de l’album, que je redoutais trop présent en live. S’ensuit un Against the Law, à coups de guitares lourdes de fatigue, nonchalantes, comme dans un blues traditionnel à la Louisiana Red, avec une mention sensualité en plus. Sallie fait tomber le masque.

© Bertrand Dussart

La seconde partie du set est davantage consacrée aux morceaux de Untamed Beast, le futur album prévu pour début 2013. A la « bête indomptée », je dis mille fois oui : le groupe ne joue plus dans la retenue rythmique, la voix de Sallie se fait suave, rauque et habitée. L’ensemble s’éloigne du rockabilly à papa pour se rapprocher d’une facette plus sauvage. En plein milieu d’une flopée de titres inédits, Sallie empoigne sa bouteille (de bière) d’un air désabusé : « This next song is for my friends. It’s called – Fuck that ». Elle achève totalement de dévoiler son côté rebelle. Une surprise moustachue de la part de Jeff Munger, le guitariste à lunettes et à l’air penaud dévoile ses cartes en suivant Sallie à la voix sur une reprise. Pince sans rire, il achève son chant en lançant un « Sorry about that ».

Ce set, c’est une éclosion fabuleuse plutôt qu’un changement radical, et l’album assurera un paquet de gimmicks qui resteront collés au cerveau. Dur challenge que d’investir une salle parisienne et d’y  balancer un set fourré de nouveaux titres sans y perdre des plumes. Pari remporté haut la main pour l’enfant terrible à lunettes. Après avoir secoué les hanches pendant deux bonnes heures, je repars, positivement intriguée par cette tournure plus rock et désinvolte que prend la sauce Sallie Ford. Ça tombe bien, Untamed Beast sort le 19 février.

Voir également : Sallie Ford & The Sound Outside : Rebels, rebels

By Sophie Louy

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