C’est la question qu’on peut se poser… Le New Jersey n’est pas un endroit où l’on décide d’aller de façon spontanée, c’est juste un endroit où l’on échoue. Il n’y fait pas souvent chaud, et jamais vous n’aurez une seule température tropicale. Il semblerait néanmoins que pour ceux qui trimbalent leur planche avec eux, il y ait des vagues qui valent la peine. Pourquoi je vous parle de surf me direz-vous ? D’abord parce que j’aime ça et que le surf a de tout temps été un support à des courants musicaux. Au temps des hawaiiens, le surf était souvent baigné de Ukulélé, dans les années 60, les riffs slidés et réverbo-métalliques des Fender Jaguars et autres arpèges « Shadowesques » de Stratocasters. Et oui, regardez donc de vieilles images vintages de surf en longboard et écoutez en même temps « Apache » des Shadows et vous verrez ce que je veux dire…
Ces deux dernières années, un groupe issu de ce New Jersey-là m’a, à chaque fois, confortablement installé dans un doux été dès le printemps. Ce groupe c’est Real Estate. Ce quatuor est pour moi assez unique. Quand se pointe le soleil, je les ressors, lorsqu’il s’en va à la fin de l’automne et bien je fais comme pour mes planches, je les range tout en sachant que je vais les ressortir au printemps suivant car les morceaux de ce groupe ont quelque chose de ce « reviens-y » qui fait que de toute façon, quoiqu’il arrive, on finira par réenclencher le CD dans le lecteur à un moment ou un autre. Cela sent l’été, la plage, les vagues, la plénitude de contempler un paysage salin. Ici, pas de ballades tristounes, non mais des compositions éclairées, ciselées, un peu comme un shaper qui travaillerait son pain de polystyrène expansé pour en faire la board parfaite.
Pourtant à l’écoute les deux albums sont différents, le premier (éponyme), sorti en 2009, semble assez brute, pas énormément de production derrière avec ce grain (de sable ?) un peu crunchy sous la dent. Le second (Days, 2011) est plus appliqué, on sort un peu du Lo-Fi pour s’engager dans la pop mais sans rien perdre de l’identité du groupe ce qui est à mon sens déjà un très bon point. Ici on ne se fade pas. On se perfectionne.
Parfois on pourra se dire que les musiques entrainantes et d’une simplicité absolue masquent les propos du groupe, cela ne serait pas faux, mais le tout passe bien, presque trop bien ce qui fait qu’une fois terminé on se demande ce qu’il en reste. C’est là que Real Estate est insidieux. On serait limite tenté de dire que c’est insipide car on n’en retient rien de précis, que ça ne sort pas du lot, et bien on se tromperait surement. Si vous pensez cela, c’est que vous êtes passé à côté.
Le morceau d’entrée de l’album Real estate, « Beach Comber » entraine directement vos oreilles vers un truc un peu atmosphérique, des guitares savamment dosées, une voix flottante presque hyperboréale, sur « Pool Swimmer« , « Black Lake » et d’autres encore on se demande même si la voix n’a pas été enregistrée à 100 m du reste du groupe, cela donne un côté vaporeux. Sur des morceaux comme « Atlantic City » c’est l’intro de basse/batterie qui va marquer le morceau. Et moi qui pensait qu’Atlantic City, c’était surtout la ville de Boardwalk Empire… quoique le morceau instrumental peut faire penser au générique de la série (générique de The Brian Jonestown Massacre). Par contre, ne vous laissez pas avoir, leur morceau « Let’s Rock The Beach » n’est pas un truc qui dépote, comme on dit: l’étiquette n’a rien à voir avec le produit ici, on reste bien dans du planant. Dix morceaux qui feront finalement du bien aux esgourdes dans tout ce bric à brac ambiant de la musique actuelle ou tellement de choses sortent que l’on a à peine le temps de se poser dessus, et je sais de quoi je parle. A peine j’achète un truc que je cherche déjà ce que je vais écouter demain…
Avec Real Estate, j’ai trouvé un havre de paix intérieure et cosmique que j’aime retrouver de temps en temps pour prendre une certaine distance avec le monde qui m’entoure, me repositionner avant de reprendre la course. Une espèce de voix d’arrêt d’urgence (non, voix n’est ici pas mal orthographié… c’est un effet de style facile) que je retrouve sur leur second LP Days, un peu plus enlevé que le premier, plus produit aussi mais tout aussi planant tout de même. La voix est plus en avant mais à peine, la guitare se fait plus rythmée d’entrée de jeu sur « Easy« . « Green Aisles » adopte une intro qui pourra faire penser au son des Smiths (Johnny Marr jouait sur une Jaguar de 65, son surf par excellence, ceci explique cela…), par contre la ressemblance s’arrêtera là. « It’s Real » semble confirmer la recherche de rythme, son refrain de chœurs est frais et pique comme une brise. « Out of Tune » me fait fortement penser à un groupe des années 90: The Catchers, groupe que j’avais découvert comme beaucoup au détour d’une Black Session de Bernard Lenoir et trop vite disparu en 98 après seulement deux albums. On peut trouver beaucoup de similitudes entre la voix de Martin Courtney (Real Estate) et celle de Dale Grundle (The Catchers). Là aussi ce sont, de toute façon, dix morceaux qui vous emmèneront vous balader, vous vider la tête et revenir plus léger. N’est-ce pas ce qu’on demande aussi à la musique ?
By Greg Pinaud-Plazanet