Review

Paul Weller, Saturns Pattern, Revolution n°9

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La déflagration sonique du premier titre publié en vidéo sur le site officiel, White Sky, de même que la diffusion rapide du second extrait Long time, tendu et tout en muscle, pouvait laisser penser que le patron de la Modness avait décidé d’aller jouer dans la même division qu’Humble Pie, le second groupe de Steve Marriott, le mod ultime. Toutes guitares dehors, coupantes et très abrasives, voix digne du « shouter » des Small Faces. Comme d’habitude, Weller proposait des clips rapidement tournés. On se met devant les caméras, on place quelques effets faciles et basta. La musique, ça s’écoute. Ain’t no fucking circus. On se demandait légitimement si tout l’album allait être de ce calibre, dans tous les sens du terme. Fausse piste, d’autant que Saturns Pattern, le morceau titre, tout en piano syncopé est venu troubler le jeu très vite, somptueux et solaire, de très haute volée, beaucoup plus aéré.

On assume notre admiration du songwriter, de tout ce qu’il a apporté à la musique, de sa passion sans fin pour cette musique qui reste ce qui l’intéresse principalement voire uniquement. On est surtout très reconnaissant au teigneux de Woking de n’avoir jamais fait le moindre compromis, de n’avoir jamais reformé les Jam, etc. Malgré cette admiration et des albums cosmiques, 22 Dreams ou Wake Up the Nation, le petit dernier boitait, Sonik Kicks n’était pas très inspiré. Quatre bons titres noyés dans des expérimentations qui n’aboutissent pas vraiment, blip électronique, long dub en duo avec Madame, duo avec Mademoiselle Weller, apparition de l’un des fils sur le dernier titre… Très sympathique album familial mais admettons le, il n’a pas eu droit aux longues écoutes habituelles et répétées pour essayer de comprendre le boulot du patron, on l’a vite rangé et peu sorti. Weller l’a défendu crânement à l’époque, comme d’habitude, en le jouant étrangement d’un bout à l’autre en début de tournée, impeccable dans un costume taillé à Saville Row. Au fond, comme il admet lui même qu’une partie de tout travail créatif est « merdique » à certains moments, il sait sans doute que c’est son disque le moins réussi. Son score moyen est fantastique mais on s’inquiétait. On écoute des hommes qui écrivent de la musique, pas des Dieux qui condescendent à livrer aux mortels leur dernier chef d’oeuvre… On admire, on ne vénère pas. Et si le grand, l’immense Weller entamait une série de disques moyens? C’était avant que ne tombe des anneaux de Saturne ce qui pourrait bien être son plus grand disque en solo. Rien de moins.

Weller a tout repensé, sans doute très conscient du niveau de « Kicks » dont il n’a gardé que deux titres sur la tournée en cours. Il est allé puiser dans toutes les sources de la soul et du rock pour remonter dans ses filets autant de nouveautés que possible, un son plus ample, une écriture renouvelée. Le Maximum Rythm and blues des deux titres déjà évoqués, le groove et la soul blanche de Pickin Up, claviers parfaitement harmonisés, choeurs célestes, développement long et composé avec une justesse de ton, un sens aigu du dosage que lui même n’atteint pas toujours. C’est fantastique et on plane avec le groupe sur ce titre psych-out de plus de six minutes puisqu’il a définitivement décidé de se ficher complètement de la notion de format. Créer, avancer, être en mouvement, ne pas se répéter, bouger vite.

Quand on avait rencontré Weller à Paris, le Weller continental, cool et accessible, il nous avait dit sans lâcher notre regard que son album était bon. Aucun adjectif promo passe partout. Bon. Solide, puissant et aérien. Inspiré. Le soir même il envoyait en ouverture un White Sky qui avait retourné directement le Bataclan. Autant dire qu’il faut être sûr de soi vocalement. Weller n’a d’ailleurs sans doute jamais aussi bien chanté que sur ce disque, avec autant de soul que de rage contenue. Soul et puissance.

Il a renouvelé le traitement de la basse, celui des guitares, des choeurs,  hallucinants sur Where I should bel’un des six titres déjà défendus live, ceux de Phénixchorale de sirènes du temps présent gorgées de la musique des Beach Boys et qui rappelle un groupe un peu perdu de vue, Hal. L’ensemble est extraordinairement dynamique, animé, vivant. Le drumming est constamment percutant, probablement assuré en grande partie par Ben Gordelier, batteur de The Moons. Touche d’écho ici, petite dose de delay là:  la variété de la production assumée avec Stan Kybert est incroyable. Le voyage est vertigineux. On a le sentiment très fort qu’un certain nombre d’idées pas encore totalement réussies ou abouties trouvent ici une heureuse et sublime conclusion. Pick it Up sonne comme un Into Tomorrow totalement repensé, comme il avait déjà tenté de le faire dans la version du Royal Albert Hall, longue et syncopée en 2010. Weller nous cloue totalement le bec sur le démentiel In the car, qui commence par des guitares qui semblent sorties d’un album de Southern Soul, slide et boogie en tête, avant que de multiples ruptures ne cessent de développer et de modifier la teneur du morceau, jusqu’aux bruitages électroniques qu’il n’avait pas réussis à intégrer sur Kicks. Même le tracklisting est impeccable, on envoie These city streets et son arpège d’ouverture extrêmement délicat, après quelques bruits urbains qui évoquent ce qu’on peut entendre avant What’s going on ? Le titre est cristallin, les relances parfaites, pas la moindre longueur en… huit minutes, tout fait sens musicalement. Le sommet de l’inspiration wellerienne, l’homme qui continue à prendre le métro, vivre normalement, acheter des disques, discuter avec ses fans sur un trottoir quand il est d’humeur et à aimer passionnément la musique, 38 ans après son premier disque. La passion, intacte.

Les Mods qui pensent que tout s’est arrêté en 1967 au Flamingo peuvent continuer à acheter des panoplies vintages et à regarder dans leurs multiples rétros, ils n’y trouveront pas Weller qui sait très bien que ça n’a rien à voir avec l’esprit Mod. C’est une manière d’observer les choses, de s’adapter au monde qui nous entoure, comme une sorte de philosophie moderne. Lui, c’est un Modernist. Move on.

Yann Viseur

Une réflexion sur “Paul Weller, Saturns Pattern, Revolution n°9

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