Grands Classiques/Review

David Bowie : le retour du « heroes »

Je souhaitais mettre un peu de temps pour écrire sur cette icône du rock. Le retour de Bowie après 10 ans de silence allait forcément faire couler beaucoup d’encre et enflammer la presse. Je voulais attendre pour avoir la possibilité de prendre un peu de recul sur ce qui m’apparaît aujourd’hui comme un  retour digne de celui qu’il fit en 1995 et 1997 avec Outside et Earthling.

Durant toute sa carrière, Bowie nous a habitués à être un touche à tout, un homme duquel pouvait venir la surprise, toujours ancré dans son époque, et parfois même avant-gardiste. N’oublions pas qu’il a traversé les années 70 en composant et en chantant des morceaux qui allaient façonner les années 80 et sans doute changer le rock à jamais. Sortir un album comme Scary Monsters (…) et ainsi participer à la vague punk des 80’s et enclencher directement après sur un « Let’s Dance » posant le son des années suivantes est digne d’un équilibriste. Bowie est comme ça. Il a toujours vécu comme ça, depuis son « Space Oddity » de 1969 en passant par ses années glam et la révélation explosive (pour l’époque car aujourd’hui on le sait, tout le monde l’est !) de sa bisexualité, sans oublier sa période soul et son cabaret berlinois personnel. Je ne vous retrace pas tout dans le détail. De nombreux ouvrages le font de façon très complète avec photos ce qui, lorsqu’on parle de Bowie est à mon avis primordial tant le visuel est une partie importante de son œuvre.

Il est à noter qu’aujourd’hui encore, nombre de rock stars s’en inspirent, ou lui rendent hommage. Rappelez vous Placebo ou Suede, qui n’ont jamais cessé de le citer dans leurs moindres interviews, ou encore les lentilles de couleur et cette capacité à se bâtir des avatars musicaux tel que Marilyn Manson.

Morrissey (chanteur des Smiths de 1982 à 87) disait qu’à 60 ans, il ne voudrait pas ressembler à Johnny Halliday et que David Bowie ferait bien d’arrêter avant que cela ne lui arrive aussi (Interview  dans le magazine Les Inrocks ancienne mouture, la mieux à mon sens). Et bien regardez… Alors que Morrissey est devenu la caricature de lui-même, Bowie connaît une post-soixantaine éclatante. Depuis l’arrêt de son Reality Tour en 2004, suite à quelques soucis de santé, il faut bien dire qu’à part quelques duos, des hommages pour d’autres, et de belles collaborations, Bowie restait absent du paysage musical, ou tout du moins, on le prenait comme tel tellement celui-ci avait occupé le devant de la scène de 1995 à 2004. Et puis vint le cycle des rééditions… En général, on fait cela en fin de carrière, voir en post mortem. En 2010 il refuse même de participer à un hommage à Peter Gabriel. Le Monsieur veut prendre du temps pour lui et tout le monde pensait que Ziggy avait définitivement quitté le rock.

Mais voilà qu’à 66 ans, mon idole, (oui, je suis allé poser mes pieds sur son étoile sur le Hollywood Walk of Fame à Los Angeles rien que pour le symbole, mais non, je ne suis pas allé à l’école habillé en Thin White Duke… ma mère ne m’a pas laissé faire…),  oui mon idole donc,  a décidé de sortir de sa retraite et avec lui un tout nouvel album : « The Next Day ». C’est son 25ème Lp.

David Bowie: The Next Day

David Bowie: The Next Day

En découvrant la pochette, je vois (comme tout le monde à part les aveugles et les mal-voyants mais eux ne lisent pas le Peuple du Rock. C’est bien dommage) le rappel de l’album Heroes parut en 1977 et l’écoute ne me donne pas tort. Dès les premières mesures de l’album je retrouve le David Bowie de cette époque, en plus moderniste bien entendu, mais l’analogie est bien là. Alors que le premier single « Where Are We Now » semblait nostalgique et regarder vers sa période berlinoise tout du moins au niveau des paroles, « The Next Day » signe le retour plein d’energie d’un Bowie prêt à en découdre avec l’électricité. De leur côté, « Dirty Boys », « Heat » ou encore « If You Can See Me » me font penser à Outside (c’est flagrant sur « Heat » entre autres), très bien maitrisé.

« The Stars (…) » a été le second single à paraître et s’accompagne d’une vidéo hommage au film Les Prédateurs (1983) de Tony Scott dans lequel il partageait l’affiche avec la comédienne Catherine Deneuve.  Je me rappelle encore de l’affiche sur le mur du cinéma de la petite ville où j’allais en vacances enfant et à 12 ans, elle me fascinait déjà… De plus, il faut dire qu’il partage l’écran, dans cette vidéo, avec Tilda Swinton, actrice anglaise que j’adore, et qui reprend beaucoup de l’imagerie type de Bowie. Il existe d’ailleurs un blog qui tend à démontrer que Tilda et David sont une seule et même personne. A prendre au second, voir troisième degré bien entendu.  Ceci-dit, les comparatifs d’images sont saisissants. « Love is Lost » et « Valentine Days » sonnent comme des territoires connus mais de façon très différente pourtant.  Comme appartenant à différentes époques de sa carrière. D’ailleurs tout l’album me semble comme ça, comme un retour sur le passé, tout ce qu’il a fait, mais retravaillé de façon moderne tout en laissant cette patine qu’ont les objets de valeur que l’on garde sur une étagère. Une rétrospective sonore et sonique ainsi que lyrique. En effet les thèmes abordés sont assez graves dans leur acception, pas forcément dans les faits. La mort est un des thèmes qui revient en boucle, son inéluctabilité. Métaphores ? Hyperboles ? On sait que Bowie aime composer à coup de découpages et de réarrangements de phrases, offrant au rock une poésie fraîche et novatrice. Ces hyperboles sont peut-être venues de là encore une fois ou bien de plus profond, d’une envie d’exprimer d’une certaine façon son statut de personne vieillissante, plus proche de sa fin que de son début. Et puis n’oublions pas qu’en 2004, c’est tout de même un problème artériel sérieux ayant nécessité une angioplastie qui l’a tenu éloigné de la scène. Lorsque l’on passe au travers d’une telle expérience, on relativise un tas de choses que l’on prenait pour acquises, ou nous redéfinissons nos priorités. Bref on prend du recul. Les paroles de cet album semblent traduire ce recul pris sur la vie et sur le chemin parcouru ainsi que celui restant à parcourir. Sur la version Deluxe, trois titres en supplément: « So She« , « Plan » et « I’ll Take You There« . Cela fait toujours plaisir d’avoir trois titres de plus pour prolonger le plaisir au delà des 14 de la version standard. « So She » a le mérite d’exister, « Plan » est pour moi l’un des deux vrais bonus du trio de fin, ambiance lourde, un peu étrange, sans paroles. Enfin j’aime swinguer sur « I’ll Take You There« , très punchy et bien ficelée. C’est d’ailleurs l’impression générale que j’ai de cet album, même si je m’attendais à un peu plus d’aventures sonores des retrouvailles de Bowie et de Visconti.

Stars (Are Out Tonight) - Promo Photo

Stars (Are Out Tonight) – Promo Photo

J’adore cet album, peut-être parce que je suis tout simplement content d’écouter à nouveau cet artiste. Et bien que je l’adore, je ne peux m’empêcher de penser que cet album est presque trop propre, qu’il n’a pas d’envolées réelles et durables à part deux solos de saxo à un moment donné dont un sur « Dirty Boys ». Tout est carré. Je sais que je m’expose à quelques réactions vives en disant cela mais aimer un artiste c’est aussi essayer d’être objectif. J’écoute et réécoute l’album car il me donne la pêche, il me fait même danser, mais n’est–ce pas simplement parce qu’il me prouve que David Bowie n’est pas mort ? Et qu’il me remémore tout ce qu’il a été ? Cet espèce de nostalgie que seul Bowie himself pouvait nous faire revivre, un peu comme s’il nous prenait par la main pour nous faire faire un tour onirique de tous ses albums et faits d’armes ?

Une chose est sûre pourtant, David Bowie se réinvente sans cesse, créatif jusqu’au bout. A 66 ans il nous montre que l’on peut encore faire du rock sans crouler sous les clichés du gars qui ne veut pas raccrocher les gants. Comme semble le souffler la pochette de « The Next Day », Bowie est un artiste qui a su changer de masque quand il le désirait et n’en a jamais gardé un trop longtemps, et l’âge aidant, peut-être est-il venu le temps de ne plus en porter d’où l’absence de visage sur l’album et une vie artistique revisitée.

Bon, allez, je vais me le réécouter encore une fois avant d’atterrir, ça tombe bien je me dirige vers l’Allemagne à l’heure où j’écris ces lignes… A quelques 7000m d’altitude au dessus du monde, les lumières apparaissent et disparaissent au loin, c’est fou comme de là-haut on relativise aussi beaucoup…

By Greg Pinaud-Plazanet

2 réflexions sur “David Bowie : le retour du « heroes »

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