« When You’re Strange », réalisé par Tom DiCillo, s’ouvre sur un film expérimental de 1970. On y voit Jim Morrison, en personne, traverser le désert californien au volant d’une guimbarde rouillée. Sans doute à la recherche de lui-même, il entend à la radio l’annonce officielle de son décès. Ces quelques images tremblotantes, émouvantes, émailleront sporadiquement le film, lui apportant une touche psychédélique.
Composé en grande partie d’images d’archives orchestrées par DiCillo, commenté par Johnny Depp, cet intrigant objet cinématographique évite l’écueil consensuel des interviews d’anciens amis, collaborateurs, musiciens de Morrison (généralement peu constructives et expédiées en deux minutes). Peu à peu apparaissent deux facettes très distinctes de la personnalité de Morrison: Jim, le poète écorché vif, l’écrivain illuminé, clochard céleste sorti des plus grandes heures de la Beat Generation. Il apparaît comme le véritable Jim Morrison. Et quand celui-ci se laisse aller à ses délires éthyliques se manifeste Jimbo (ou Lizard King), alter ego démoniaque, vociférant et assez impuissant, qui montre sa queue sur scène (ce qui lui vaudra de nombreux ennuis avec la justice américaine), cherche à choquer, donner du spectacle plus que de la musique. On retrouve cette séparation des égos chez Gainsbourg, qui s’est maintes fois laissé dépasser par Gainsbarre… Le film insiste d’ailleurs sur l’alcoolisme du chanteur qui contrairement au LSD, le précipita dans sa chute au lieu de l’inspirer. L’aspect double de Morrison est très bien mis en valeur par ce documentaire troublant, qui donne l’impression étrange que le poète maudit était en permanence suivi par des cameras. Drôle de perspective, à notre époque “Orwellienne”, où l’on est perpétuellement surveillé. On comprend alors que, paradoxalement, le Lizard King adorait cette célébrité qu’il avait acquise, et qu’en brillant intellectuel, il savait comment manipuler et contenter son public.
En parallèle de l’évolution du groupe sont décrites les différentes étapes importantes de ces “electric sixties”. D’un assassinat (JFK) à l’autre (Martin Luther King), de l’assassinat des étudiants de l’université d’Ohio aux premiers pas sur la lune, la camera voltige entre images d’archives et coupures de journaux. Il est vrai que le contexte historique et culturel de l’époque est indissociable de l’histoire des Doors, sur fond de contre-culture américaine. Comme le dit si bien la voix off “Le monde s’était ouvert en deux ; de cette fissure sortirent les Doors”
Relatant la genèse, la grandeur et la décadence d’un groupe culte, “When You’re Strange” permet de nous approcher au plus près du mythe Morrison, de sa jeunesse triste et lettrée à sa mort pathétique au fait de sa gloire. Riches de versions brûlantes et définitives de “The End” ou “Light My Fire” et d’enregistrements sonores en tout genre, “When You’re Strange” devrait ravir non seulement les adeptes déjà convertis aux Doors, mais également les néophytes.
By Novgorod
« …Sans doute à la recherche de lui-même… » Comme toujours et je ne pense pas qu’il se soit réellement trouvé un jour, ou alors certainement lors de sa mort, où il a pu se confronter à cette porte qu’il a toujours souhaité ouvrir.
Je viendrais sans doute moi, poster à nouveau un commentaire après l’avoir vu, mais selon vos propos, il me semble que je vais m’y plaire.
Magnifique article !
C’est bon ça