Il y a quelques jours sortait le 18ième LP d’un grand Monsieur du Rock : Tom Waits. Bad as Me est trouvable en 2 versions, une De Luxe comme cela se fait de plus en plus souvent, comportant 16 titres au lieu de 13. Inutile de dire que j’ai opté pour la Deluxe.
Ce petit Monsieur (car il n’est pas grand par la taille) a une remarquable longévité puisqu’il a été pondu en 1949 sous le soleil Californien, et faire du Rock à son âge… du bon Rock je veux dire, ben ça ne court pas les ruelles sombres d’arrière-bars.
Ce gars est multi-talents, il tourne avec Jarmusch (voir notamment le très bon « Down By Law », un chef d’œuvre) et quelques autres réalisateurs, fait des bruitages, compose, chante, et joue du piano. De sa voix rocailleuse à souhait, presque cradingue, il nous emmène dans une espèce de parade burlesque pleine de personnages aussi dingues ou bizarres les uns que les autres mais toujours hauts en couleurs même si l’on sent bien qu’on rase les murs d’endroits flous, peu recommandables, de coupe-gorges avalés par la pénombre.
Mais Tom Waits c’est ça. Sur l’album « Black Rider » (1993, qui est aussi une comédie musicale) déjà j’avais l’impression d’être au sein de cette parade, devant un vieux chapiteau avec un vieux gars ressemblant à Ron Perlman à l’entrée, m’invitant à entrer voir la cour des miracles… Un croisement du graphisme de La Cité des Enfants Perdus et d’un clip de Marilyn Manson tiré de « The Golden Age of Grotesque ». Oui je sais c’est assez différent l’un de l’autre mais je parle de l’ambiance graphique.
Dans « Bad as Me », Waits alterne chanson de parade façon crazy circus et chansons plus sentimentales, fugaces, presque fantomatiques croisées au détour d’une rue dans la brume et auxquelles on a envie de croire. Ses chansons me font aussi penser à David Lynch parfois, dans leurs côtés bizarres mais hypnotiques.
Ce mélange savant de Blues, Rock, Jazz, Bluegrass et bien d’autres choses est détonnant. De tous temps. Ecouter un album de Tom Waits c’est se mettre dans un certain état d’esprit, se déguiser en Monsieur Loyal et parcourir une foire peuplée de femmes tronc, du trapéziste à deux têtes et autres curiosités. Il y a toujours un truc à y découvrir, une perle, un truc qui nous attache à vie à son univers onirique et fantasmagorique, car lorsqu’on écoute et aime Tom Waits une fois, on y revient forcément, c’est comme une loi immuable de la Nature.Cela ne s’explique pas. Alors qu’il a commencé à sortir des albums peu après ma naissance je n’ai découvert cet artiste accompli qu’en 1985 avec « Rain Dogs ». Une claque. Depuis j’ai rattrapé mon retard et j’attends les nouvelles productions comme un enfant, sucette à la main, attendant devant la grande roue de pouvoir faire un tour, les yeux émerveillés.
Avec son dernier bébé en date, j’avoue ne pas être déçu de l’attente, je retrouve son univers de saltimbanque, sa voix qui ne change pas, travaillée au bourbon et au mégot, sa façon de vous entraîner à l’écart de la foule et de vous souffler dans l’oreille : « Hey petit… la ballade, c’est par là… ». Alternance de chansons rythmées très blues-rock et chansons plus intimes, plus légères où sa voix se pose sur d’autres timbres. Rien ne se jette, tout se garde que ce soit l’ode à « Chicago » ouvrant l’album ou bien le lancinent « Talking at the Same Time », on a même parfois du mal à croire que c’est le même homme qui chante les deux. « Get Lost » a des accents de rockabilly et nous fait même bouger les genoux.
L’accordéon de « Pay Me » nous berce et tranche avec le rugueux de la voix. « Bad as Me » fait partie de ces morceaux burlesques que j’aime beaucoup chez lui, un ovni sans dessus-dessous d’une figure se tortillant derrière son micro, « Satisfied Me » et « Hell Broke Luce » me font le même effet. Elles me rappellent par bien des aspects son « Black Rider ». Le piano jazzy de « Kiss Me » nous fixe au fond d’un bar, accoudé à un sombre comptoir. Je vous laisse découvrir le reste.
Les trois morceaux supplémentaires de la version De Luxe sont excellents et ne sont pas seulement des ajouts de titres n’ayant pas grand chose à voir avec l’ambiance globale du reste de l’album, bien au contraire. Ils permettent réellement de prolonger l’expérience un peu plus longtemps. « Tell Me » me fait penser à Springsteen, l’Amérique profonde, les racines du Rock.
Alors, Tom Waits: « Last Leaf » on the Tree of old Rock ?
By Greg Pinaud-Plazanet