Voilà déjà quelque temps que Big Thief a été adoubé par la scène Indie. Tout le monde est à peu près convaincu du bien-fondé de la naissance de cette petite troupe sans prétention venue de Brooklyn. C’est à force de glaner tous les mérites qu’elle semble désormais ne plus rien avoir à prouver à qui que ce soit. Même le président américain sortant, Barack Obama, s’est entiché de ladite troupe et l’a fait publiquement savoir en incluant dans sa dernière playlist présidentielle un de leurs titres (« Not »). À la lumière de ce constat, que dire de plus ? Au risque de vous servir une hagiographie répétant les mêmes éloges ou bien d’ergoter futilement, nous allons tenter d’apporter notre pierre à cet édifice qu’est Big Thief. Pour ce faire, nous rendrons dans un premier temps un hommage tout particulier à l’architecte en chef en la personne d’Adrianne Lenker, leadeuse de Big Thief.

Les présentations
Vous l’aurez compris, Big Thief jouit d’une considération unanime. Fort de quatre albums aux accents folk rock, Big Thief est devenu en l’espace de quatre ans une formation solide, fortement inspirée par la plume et le génie créatif de sa tête pensante, Adrianne Lenker. En solo ou bien en bande organisée, la chanteuse américaine tient logiquement le premier rôle de ce récit « musical » qui accouche de ses premières lignes en 2014, lorsque sort son premier album solo Hours were the Birds. Derrière une voix susurrée et une attitude fuyante se cache un être sensible. Son phrasé captive. Ses paroles évocatrices et pénétrantes émeuvent, tout comme son histoire assurément passionnante.

Premier essai en solo
Au début des années 2010, fauchée comme les blés, Adrianne Lenker tente sa chance dans la grande pomme, où les espoirs se matérialisent en projets. De cette rencontre avec Buck Meek et le label Saddle Creek vont naître deux Lp, ou plutôt deux faces d’une seule et même pièce : a-sides et b-sides, sortis tous deux la même année que le premier album Hours were the birds. C’est à ce moment précis que Meek et Lenker entretiennent un lien étroit qui perdure encore aujourd’hui. Ensemble, ils décident de sillonner les recoins du vieux continent, certainement dans le but de faire le plein d’expériences nouvelles.

Hours were the Birds éclot donc en 2014. Celui-ci se veut tout aussi sobre, nostalgique, personnel et immédiat que le reste de la discographie de la jeune artiste. Pas de fioritures. Juste elle, sa voix égratignée et sa guitare acoustique en guise d’accompagnement. Toutefois, ce premier essai inaugure un style intimiste qui coule dans ses veines. Un style emprunt de fragilité, de mélancolie et de lueur. Cette énergie ne fera que s’aiguiser album après album. On notera l’apport constant de nouvelles thématiques à chaque sortie. Hours were the Birds paraît plus candide, quand Abyssskiss, dernier opus d’Adrianne Lenker sorti en 2019, se montre plus abrupt. Ne vous attendez pas non plus à un déchaînement de technicité. On s’insère clairement dans la tradition Folk 60’s où le minimalisme était de rigueur.
Cela étant, son travail en solo n’est absolument pas à jeter. Au contraire ! Il sonne comme les prémisses de quelque chose de grandiose, dont nous aurons les premiers échos en 2016. On se laisse volontiers bercer par les titres « Disappear », « Gone », « A Love of Some Kind » ou bien le single « Indiana », qu’on retrouverait aisément dans la BO d’un film d’auteur américain.
Derrière une fausse quiétude, Adrianne Lenker livre les détails de son vécu, parsemé de voyages, de galères, de rencontres, ou bien d’espoirs sur le placide New York City : « Well, New York City split me like a log in a mill. Half of me happy, the other half ill. But I feel myself a-warming to the old neon chill I still feel a longing, but its chased by a thrill ». À ce moment-là, la jeune baroudeuse se cherche encore. Elle s’essaie à la vie d’artiste en écumant bars et salles de concerts du coin. Mais la vie est dure et son maigre salaire de serveuse ne lui permet pas d’échapper à la précarité. Elle racontera en interview qu’elle vivait dans une sorte d’entrepôt peuplé de hobos comme elle. La vétusté des locaux était telle qu’elle devait dormir à même le sol. Des destins comme ça, on a le sentiment qu’il en existe pléthores dans le pays de l’oncle Sam. Plût au ciel que certains finissent par réaliser leur dessein.
Un son évocateur
S’il n’y a pas d’artifice, de grandiloquence dans ses chansons, force est de constater que les mélodies possèdent du cachet. Dans son aventure solo ou au sein de Big Thief, Adrianne Lenker prouve qu’elle écrit et compose admirablement. La sobriété qu’offre sa musique n’est jamais doucereuse. Ses albums ont de la consistance. Ils ne sont jamais ronflants et lassants, là où beaucoup d’auteurs du genre dirigent leurs pas et se cassent la figure à l’arrivée. Une réelle prouesse qui donne toujours plus d’arguments à la chanteuse. La chanson « Kerina » saura par exemple apporter un peu d’entrain, quand les titres « Indiana », « Jonathan » ou encore à « I Still hear you » nous laisseront plus songeur.
On ne saura que trop vous conseiller d’écouter ses quatre albums solos, tous réellement prenants et sincères, notamment Abysskiss, qui s’avèrera être la piste de lancement de deux merveilles de Big Thief sorties en 2019 : U.F.O.F. et Two Hands. Écoutez « from », écoutez « terminal paradise », écoutez « symbol », écoutez « out of your mind » avant de plonger la tête la première dans les productions de Big Thief.
Marcus Bielak